Après deux morceaux passés en fond de scène, réfugié derrière la batterie, dans une lumière rouge diffuse et figée, Taylor Kirk en avait déjà assez des photos et demanda à l’unique photographe de service d’arrêter de tenter de capturer un moment qu’il n’avait visiblement aucune intention de confier à la postérité. Ce n’est pas le premier morceau, instrumental, qui aura beaucoup mis en avant la tête pensante de Timber Timbre. Ni l’interlude forcé, consécutif à des problèmes techniques liés aux synthétiseurs, dorénavant omniprésents dans la musique du groupe canadien.
Non, malgré tout le soin qu’il peut apporter à ses pochettes de disques sombres, faites de clichés contrastés, argentiques, en noir et blanc, Taylor Kirk est réfractaire aux photos et se complaît dans une obscurité rougeâtre qui ne changera pas d’un iota tout le long du concert. Vous en voyez le résultat ci-contre. Ce qui semble être une anecdote était en fait le signe avant-coureur d’un concert qui ne laissera pas un souvenir impérissable aux fans de la première heure venus se réfugier un jeudi soir dans la petite salle de la Kulturfabrik.
De retour sur nos platines après six ans et l’album Sincerely, Future Pollution, mal aimé, symbolisant un nouveau virage – convaincant à nos yeux – dans une carrière musicale déjà riche, le songwriter canadien était attendu pour savoir vers quelle contrée imaginaire ce nouveau voyage musical allait nous emmener. Le résultat, intitulé Lovage, est mitigé. Le concert nous a grosso modo fait le même effet, douze ans après le dernier passage de Taylor en terre luxembourgeoise, autrement plus réussi (au Carré Rotondes, en solo).
Pourtant, on aime ce canadien taciturne et son esthétique dark folk contrastée. On aime sa façon de nous hypnotiser de sa voix de crooner post-Stuart Staples. On aime la charge émotionnelle, les mélodies, les structures de ses morceaux convoquant les fantômes de Leonard Cohen. On retrouva ces fulgurances parcimonieusement lors de ce concert, à la faveur de classiques comme le splendide Creep On Creepin’ On, ou, clou de la soirée, cette version suave et hypnotique à souhait de Run From Me, tiré de l’excellent album Hot Dreams (sorti il y a dix ans), clôturant le concert et inspirant le public à chantonner les chœurs du morceau afin de réclamer un rappel.
Et c’est sans doute ce rappel, en solo, toujours réfugié au fond de la scène, qui s’avéra le plus probant de la soirée. Taylor Kirk s’affichait enfin à nu, proposant des versions dépouillées de trois morceaux dont I Am Coming To Paris (To Kill You), rebaptisé pour l’occasion I Am Coming To Luxembourg (mais toujours pour nous tuer). Au bout d’une heure et quelque de concert, il n’a pas achevé le valeureux public, mais a heureusement injecté un peu d’émotion dans une prestation globalement mitigée, qui ne nous a transporté que par à-coups. La faute sans doute à un choix de morceaux largement influencé par un dernier album pas taillé dans la même étoffe que ses productions précédentes.
Dans Sertorius, Corneille avait écrit « On a peine à haïr ce qu’on a bien aimé. Et le feu mal éteint est bientôt rallumé. » La rédemption n’est jamais bien loin. C’est tout ce qu’on souhaite à un acteur incontournable de la scène indé des quinze dernières années.