Entrer dans la vieille église Saint-Laurent, en plein cœur de Dierkich, constitue toujours un ravissement. Non pas tant pour son architecture pittoresque, mais pour son acoustique. Un endroit où les voix sont magnifiées et où les applaudissements trop prononcés d’une personne peuvent faire éclater les tympans de ses voisins. Tous les deux ans, l’édifice est un lieu de passage incontournable du festival A Cape’lla. Fondé en 2016 par le CapE (Centre des arts pluriels d’Ettelbruck) en partenariat avec l’Inecc (Institut européen de chant choral), l’événement consacre plusieurs jours durant les joies de la musique a cappella, sans accompagnement instrumental donc. En ce samedi 27 janvier, tandis que le ciel s’assombrit, les quatre chanteuses du Orenda Quartet font leur entrée dans la nef et s’avancent prestement jusqu’à l’autel.
Sandrine Conry, Petrana Draganov, Stefka Miteva et Julia Orcet, enchaînent une heure durant des chants folkloriques des Balkans et autres musiques sacrées orthodoxes, qui prennent ici une dimension toute particulière. Vêtues d’habits traditionnels bulgares, les quatre artistes introduisent une à une les différents morceaux par quelques vers, ou bien en contant les légendes locales ayant inspiré les polyphonies interprétées. Elles s’emmêlent parfois les pinceaux mais le public leur pardonne. On suit donc une histoire décousue, faite de romances juvéniles et de querelles territoriales, mais qui tient en haleine. L’audience a son rôle à jouer et prend volontiers part aux festivités, en chantant en canon et en tapant des mains pour créer une rythmique.
Plus tard, dans le hall d’entrée du CapE, on s’agglutine aux pieds des escaliers menant vers l’auditorium sur lesquelles ont pris place la vingtaine de membres de Nordvox, un projet de chœur de chambre du Conservatoire de Musique du Nord. Sous la direction de Matthias Rajczyk, la troupe délivre une interprétation très convaincante de Soon ah will be done, sous les yeux d’un public acquis à leur cause. Sur les coups de vingt heures, l’auditorium accueille l’ensemble vocal britannique Voce8, tête d’affiche du festival qui fait salle comble. Après un court discours maîtrisé signé Carl Adalsteinsson, le directeur artistique des lieux, Dominic Carver, Eleonore Cockerham (en remplacement de Molly Noon), Andrea Haines, Katie Jeffries-Harris, Christopher Moore, Blake Morgan, Barnaby Smith et Euan Williamson font leur apparition sur les planches. Le spectre qui va être brassé par l’ensemble est large. Au programme, Rachmaninov, Nat ‘King’ Cole, Mendelssohn ou encore Paul Simon, difficile de faire plus varié. Le spectacle démarre par un O Clap Your Hands des plus académiques. Sentiment partagé pour le morceau suivant. On sent la maestria, le professionnalisme mais on regarde sa montre. Bien mal nous en a pris. Le reste du spectacle ne sera qu’un crescendo, des montagnes russes émotionnelles que seule la musique a cappella peut provoquer.
Après une cover très fréquentable du standard d’Otis Blackwell, Fever, une partie de la troupe se rapproche pour créer une bulle d’intimité et entame un magnifique arrangement de Only You de Yazoo. On est bien loin de la version originale, new wave à souhait. Sans aucun artifice et d’une pudeur confondante, l’interprétation met à l’auteur de ces lignes la larme à l’œil. Une grande première, après huit années à arpenter les salles de concerts du pays, pour le meilleur et souvent pour le pire. Chapeaux les artistes. On entend des reniflements par ci par là lors de la longue ovation qui suit. On retient encore un numéro franchement drôle autour de Dessus le marché d’Arras. Le spectacle se termine avec du Gerschwin et par une standing ovation. La soirée se prolonge dans le foyer avec une jam session, puis le lendemain avec trois propositions supplémentaires, qui, parait-il, valait elles aussi le coup.