Avec Usina 2023 à Dudelange le week-end dernier, la saison des festivals est bien lancée

Une initiative heureuse

d'Lëtzebuerger Land vom 09.06.2023

Quelques notes au synthétiseur font l’effet d’un appel au ralliement. Sous un soleil de plomb, la plaine qui était jusque-là déserte voit arriver quelques dizaines de recrues, prêtes à mettre un pied ou plus encore dans l’univers déluré de Jackie Moontan. Ce dernier arrive sur scène vêtu d’un costume brun et introduit son spectacle avec l’aisance d’un Monsieur Loyal ou d’un révérend. À ses côtés, sur la Casa Communa Stage, on reconnait malgré leurs accoutrements Pol Belardi, Jérôme Klein et Niels Engels. Jackie Moontan est une bête de scène. Il se donne et se démène pour les « ladies and gentlemen and everything between » qu’il a chaleureusement salué mais qui sont encore de glace devant ses facéties. Il court, s’effondre devant quelques enfants casqués venus s’installer juste devant la scène. La troupe développe une musique pop, solaire, vintage et un tantinet kitsch sans jamais tomber dans la ringardise. La communion se fait au bout d’une demi-heure de show. On ne peut que recommander d’aller faire un tour sur la chaine YouTube du chanteur, assez confidentielle mais pleine de pépites.

En ce samedi 3 juin, le site NeiSchmelz à Dudelange accueille pour la deuxième année et deux jours durant, le festival Usina. Peut-être la seule initiative véritablement heureuse qu’a engendré la bien triste année culturelle Esch2022. Seul changement majeur pour cette édition, l’installation de la scène principale sur le parking du centre Opderschmelz/CNA pour d’adapter aux évolutions futures de la zone, qui a vocation à devenir d’ici quelques années un quartier résidentiel. Pour le reste, la recette est identique. De la musique amplifiée non francophone pour une programmation aussi pointue que généraliste. En fin d’après-midi, sur la plus petite Vewa Stage les musiciens locaux de Trouble in Paradize tentent en vain de faire bouger l’audience. Leur musique saturée ne plait qu’à moitié mais l’entrain de la troupe est certain. Le chanteur fait tomber son haut et rejoint son public pour un bain de foule tout relatif. Quelques temps plus tard, les berlinois de Public Display of Affection électrisent la scène. Madeleine Rose, la chanteuse au timbre prenant effectue des mouvements désarticulés et ne fait plus qu’une avec les planches.

L’espace désaffecté allant du château d’eau au skate-park a été réaménagé avec logique et bon goût. Le parcours est toutefois semé d’embuches. Dès le début de soirée, il est difficile de naviguer à travers le torrent de festivaliers. La presse autochtone annoncera le lendemain le nombre de 4 000 personnes pour ce seul samedi. Ce soir, le groupe de rap De Läb, qui roule sa bosse depuis une quinzaine d’années à travers le Grand-Duché, est une tête d’affiche. Leur première partie est assurée par Nicool, habituée des performances live et particulièrement à l’aise. Elle est backée par sa fidèle comparse Nadja Prange, qui office aussi au sein du Fred Barreto Group. Son grand écart régulier entre le blues rock pur jus et le rap boom bap est à saluer.

La Turbin-A Stage accueille David Galassi et Gilles Corbi, les co-fondateurs de De Läb avec les membres de leur live band. Parmi les musiciens présents, le batteur de jazz Benoît Martiny dont la présence est toujours de bon augure. L’occasion de rappeler que ce dernier a fait paraître il y a quelques mois un super projet expérimental intitulé Phase O, dédié aux regrettés Itaru Oki et Steve Kaspar, qui ont tous les deux brillé dans le grand auditoire d’Opderschmelz. Le duo de rappeurs enchaîne les morceaux de son répertoire repris en chœur par une partie de l’audience acquise à leur cause. Au même moment, du côté des anciennes friches industrielles, Lorenzo Mena alias El Loren effectue une performance qui sied parfaitement à son environnement. Le street drummer joue sur et avec son bric à brac fait de tuyaux en pvc, pots de peinture et autres tôles. Plus tard, la formation néerlandaise Altin Gün propose un set de compositions enivrantes, dont le savant mélange entre psychédélisme seventies et musique traditionnelle turque a fait leur renommée. Peter Fox, sorte de superstar allemande de son état, semble ambiancer la foule pour le clou de la soirée. À mi-parcours de cette seconde édition, il est encore trop tôt pour tirer des conclusions. Et en même temps, même un regard affûté avide de faux pas n’en décèle aucun dans l’organisation et la programmation. On tire donc notre chapeau par avance et on y retourne.

Kévin Kroczek
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