Pour sa première à la direction de Passages Transfestival, Benoit Bradel a opté pour une édition transalpine, fasciné, à son arrivée dans la cité messine fin 2019, par l’atmosphère étrangement latine qui y régnait : des accents de Napolitain glanés ça et là en ville, sans oublier la pierre de Jaumont qui donne à Metz une couleur ocre, méridionale, plus encore à la tombée de la nuit lorsque les réverbères l’illuminent. Il n’en faut pas plus pour transformer pendant trois semaines (3-21 mai) une ville en une « petite Italie ». Même le soleil fut au rendez-vous.
Depuis longtemps en effet, la Lorraine a entretenu des liens étroits avec la Péninsule ; outre l’héritage romain (le vin, le complexe thermal sur le site de St Pierre-aux-Nonnains), la prospérité économique de Metz est en partie due à la présence de banquiers lombards, attestée dès le XVe siècle. De nombreux artistes lorrains comme Claude Gellée ou George de la Tour sont descendus à Rome, véritable Hollywood de la peinture à cette époque. À la fin du XIXe siècle, la révolution industrielle en fera enfin une terre de prédilection pour les immigrés du Mezzogiorno, venus nombreux rejoindre les mines de Forbach, les usines sidérurgiques de Longwy, de Rombas ou d’Esch-sur-Alzette. L’Italie n’est pas un pays : c’est un peuple en migration, international par définition, qui a contribué à la croissance de l’Europe au XXe siècle et à édifier les gratte-ciels de New York. Une trajectoire que retrace à sa façon celle de Michel Platini : né à Joeuf, en Meurthe-et-Moselle, il évolue à l’AS Nancy avant de terminer sa carrière à… la Juventus de Turin.
Cette histoire commune passe aussi par une programmation ayant rendu hommage à l’âge d’or du cinéma italien, pour le plus grand bonheur des cinéphiles et des mélomanes de la région. La rencontre avec Ninetto Davoli, l’acteur fétiche du cinéaste Pier Paolo Pasolini, et les deux films projetés en sa présence (La Ricotta ; Uccellacci e Uccellini) furent deux moments particulièrement émouvants pour le public. Cet hommage à Pasolini était par ailleurs décliné à l’espace Bernard Marie-Koltès, où l’on pouvait entendre une lecture musicale de Gael Leveugle à partir du recueil poétique La Religion de mon temps. Côté musique, deux concerts ont fait salle comble à l’Arsenal sous la direction d’Ernst Van Tiel. Le premier mêlait les plus grands airs de Nino Rota pour Fellini à ceux de Nicola Piovani (La Vità è bella), d’Andrea Guerra (Extraordinary Measures) ou d’Ennio Morricone. Le second concert en prolongeait le geste en faisant revivre les plus fameuses contributions de Morricone au « western spaghetti ».
Outre cet attachement au patrimoine culturel italien devenu universel, c’est la création contemporaine et pluridisciplinaire que célèbre Passages Transfestival au moyen des arts du spectacle. Dans cette relation dialectique entre la scène locale et celle de la Péninsule, le public a pu aussi bien découvrir Le Grand inconnu, la dernière réalisation de la marionnettiste Pascale Toniazzo qui y présentait aussi un spectacle pour le jeune public (Plein soleil), que les deux pièces chorégraphiques de l’impertinente Silvia Gribaudi à l’opéra-théâtre : Variazioni di Grazia, inspiré des Trois grâces du sculpteur Antonio Canova, et R.OSA 10 Esercizi per nuovi virtuosismi. Deux spectacles participatifs qui mettent à mal les stéréotypes de genre et la notion même de beauté, au cœur de la tradition esthétique occidentale (« citation Gribaudi »). Autre importante institution culturelle de la ville participant aux festivités, le Centre Pompidou-Metz a accueilli deux pièces du duo formé par Ginevra Panzetti et Enrico Ticconi (AeRea et Ara ! Ara !) dans lesquelles les symboles du pouvoir national (le drapeau, en l’occurrence) étaient détournés en faveur de nouvelles possibilités transformatrices de la société.
Sous une forme résolument itinérante, Passages Transfestival s’étendait cette année sur différents sites de la ville. Outre les nombreux lieux et partenaires impliqués dans cette édition Transitalia, la Mission Roosevelt s’est chargée d’investir l’espace public. Il s’agit, pour Iacopo Fulgi qui en est le concepteur, de renverser le validisme en proposant au public de faire l’expérience de la ville en fauteuil roulant. Tout un itinéraire a été pensé à cet effet, à partir d’un lieu de départ divulgué aux spectacteurs la veille de l’événement. Autre moment fort du festival : la représentation de Hamlet, revisité par le Teatro La Plaza et ses acteurs atteints du syndrome de Down qui donnent à entendre autrement le texte de Shakespeare. Une approche de l’inclusion sociale par la médiation des arts que souhaite encourager le ministère de la Culture. Lequel s’est engagé à octroyer au festival, par l’intermédiaire de la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC), une subvention avoisinant les 100 000 euros.