Now that escalated quickly. En octobre 2018, la Piratepartei luxembourgeoise entra au Parlement avec deux députés et 6,45 pour cent des suffrages, doublant son résultat de 2013 et atteignant même un point de pourcent de plus que Déi Lénk. Ces deux sièges, personne ne les avait vus venir, les observateurs avertis s’attendant tout au plus à un mandat pour le très avenant activiste pour un Internet libre Sven Clement. Dès le soir du 14 octobre, il était évident que tout oppose Clement et son collègue de Pétange Marc Goergen – d’ailleurs, ils ne cachent même pas qu’ils ne s’apprécient guère. Depuis, tout est allé très vite dans la désagrégation d’un parti dont l’idéologie devait être progressiste – ou du moins nerdy.
Il y eut d’abord la collaboration avec l’ADR au sein d’un groupe technique afin de pouvoir profiter d’avantages matériels et financiers, qui laissait perplexes tous ceux qui avaient des sympathies pour un parti se voulant moderne. Puis il y eut la constitution chahutée de la liste pour les élections européennes, Marc Goergen préférant le très offensif Daniel Frères, ancien candidat du Pid de Jean Colombera, agent immobilier et s’affichant défenseur des droits des animaux, aux fidèles militants pour les causes initiales du parti des internautes comme Jerry Weyer (avec lequel Clement est associé dans une agence de communication digitale portant leurs deux noms) ou Andy Maar (qui vient de l’ADR). Et maintenant une campagne populiste contre les médias, notamment contre les sites Reporter.lu et Woxx.lu, qui rapportent ces frictions internes entre les différentes tendances au sein de la formation et les pressions sur les collaborateurs parlementaires, ayant recours à un vocabulaire emprunté aux tweets de Donald Trump : fake news, failing media, élite ennemie – tout y est.
Dimanche, les Pirates luxembourgeois aimeraient entrer au Parlement européen. Ce qui, au vu de leur parcours parlementaire au grand-duché, de l’ambiance délétère qui les entoure et des résultats de 2014 (4,23 pour cent) serait un petit miracle. Mais leur candidat tête de liste Daniel Frères fait feu de tout bois, toujours accompagné d’un chien sur les affiches et profitant du soutien inconditionnel de Lëtzebuerg Privat. Or, même la seule et très populaire pirate allemande du Parlement européen, la passionaria de la lutte contre la directive copyright et son article 13, Julia Reda, était membre de la fraction des verts, mais a quitté son parti avec fracas en mars pour protester contre le harcèlement sexuel d’un collaborateur – elle a même appelé ses fans à boycotter les Pirates aux urnes. Tout cela n’est pas bien glorieux pour un parti qui voulait révolutionner la démocratie et apporter plus de transparence dans les affaires politiques.
« Nos collègues du parti ne nous aiment pas, mais nous sommes les faiseurs de roi », dit, en substance, Marc Goergen vis-à-vis de Reporter.lu. Plus que les licornes et les arcs-en-ciel sur les affiches criardes ou les fenêtres pop-up agressives sur les sites de jeux et sur les réseaux sociaux, ce furent les visites impromptues des Pirates tendance Frères-et-toutou dans les maisons de retraite et sur les marchés qui attirèrent les électeurs indécis vers les Pirates. Ces électeurs, les sondages sortie des urnes l’ont confirmé, provenaient surtout des couches populaires – naviguant entre les eaux de Déi Lénk et de l’ADR. Au soir des élections, Sven Clement rigola, dans la salle de maquillage de RTL (scène qu’on put voir dans un documentaire de Loïc Tanson), qu’il pouvait souffler désormais, que sa femme lui avait dit qu’il était temps de faire des enfants. C’était oublier que le travail politique ne faisait que commencer. Parce que là, tout se passe comme si ce navire n’avait ni capitaine, ni boussole. De gauche ou de droite, qui peut le dire ?