Une autre semaine, une autre gaffe de la part de l’autoproclamé « directeur général » du Grand-Duché. Après ses improvisations sur Orbán (Politico) et sur Gaza (RTL-Télé), Luc Frieden a chanté, le 21 mars, le refrain de la CDU (et de Macron) sur la recherche nucléaire, en marge d’un sommet européen. Le Luxembourg serait « technologieoffen » et verrait la question de « manière moins idéologique », a expliqué le Premier luxembourgeois à la presse, ajoutant que l’énergie nucléaire de demain ne serait pas comparable à celle d’aujourd’hui. Face à la levée de boucliers, du Mouvéco au partenaire de coalition, Frieden a dû faire sa pénitence ce mercredi devant les commissions parlementaires de l’Économie et de l’Environnement. « Ce que j’ai dit à Bruxelles n’a pas d’impact sur la politique luxembourgeoise », a déclaré le Premier. « D’Regierung huet eng kloer Meenung », et celle-ci n’aurait pas changé : Le Luxembourg resterait engagé pour la fermeture des centrales proches de ses frontières. On ne considérerait pas le nucléaire comme « énergie verte » et on continuerait à miser sur les renouvelables. Bref, la polémique n’aurait été qu’un malentendu. Les députés de l’opposition ont ironisé sur ce « rétropédalage », évoquant « l’ancien Luc à Bruxelles et le nouveau Luc à la commission » (Georges Engel, LSAP) ou « les deux âmes qui habitent dans sa poitrine » (David Wagner, Déi Lénk). Pour afficher l’unité gouvernementale, le Premier ministre s’est fait accompagner par les ministres Lex Delles (DP) et Serge Wilmes (CSV). Le ministre de l’Environnement avait eu, ces derniers jours, toutes les peines du monde à relativiser les déclarations de son chef. Celles-ci seraient à voir « dans un contexte plus large », notamment de la campagne du Parti populaire européen, expliquait Wilmes au Wort.
Le DP était, lui, carrément contrarié, et ne le cachait pas. Les députées libérales Corinne Cahen et Barbara Agostino ont immédiatement mis le doigt sur la plaie : « Ass dës Positioun am Regierungsrot beschwat ginn ? », demandent-elles dans une question parlementaire. Pas plus tard que le 18 mars, Xavier Bettel avait cosigné une déclaration au Conseil Affaires étrangères avec ses homologues allemande, autrichien, portugais et espagnol : « We hold the view that nuclear power is neither a green nor a renewable energy and that it is neither a safe nor a sustainable technology ». Aux libéraux, la dernière maladresse de #Luc fournit une occasion de se démarquer du CSV, dont ils craignent les visées hégémoniques et les réflexes revanchistes. Le DP compte surtout fidéliser les électeurs verts qu’il a su attirer aux dernières législatives. (Manque de bol, les Jonk Demokraten ont choisi ce moment pour rappeler leur position, en contradiction avec celle de la maison-mère : Le nucléaire serait « un moindre mal par rapport aux énergies fossiles ».)
Le CSV s’est aligné sur la position de la CDU qui instrumentalise le nucléaire pour rassurer son électorat sur la possibilité d’un Klimaschutz sans changement des modes de consommation. On se rappelle de l’approche « manner verkrampft » souhaitée par Frieden dans la lutte contre la crise climatique, et des « fortschrittliche Technologien » qu’il vantait comme solution-miracle dans son pamphlet Europa 5.0. En octobre 2021, la cheffe de fraction du CSV Martine Hansen proclamait encore : « Mir sinn nach ëmmer géint Atomstroum gewiecht. OK ? » En 2023, le parti découvrait le nucléaire comme « énergie de transition » et revendiquait « une approche réaliste et non idéologique » (Claude Wiseler). Le CSV estimait notamment que le Luxembourg devait alléger sa pression diplomatique sur Macron et EDF. Même si le programme électoral du CSV gardait un silence pudique sur la question, Frieden continue sur la lancée : « Ce n’est pas à nous de dicter le mix énergétique aux autres pays », a-t-il affirmé ce mercredi au sortir de la commission parlementaire ».
Dans leur accord de coalition, le CSV et le DP se sont pourtant positionnés dans la continuité du consensus antinucléaire : « Le gouvernement interviendra auprès des autorités françaises et belges pour obtenir la fermeture des centrales nucléaires à risque », y lit-on. Les déclarations malhabiles de Luc Frieden à Bruxelles arrivent au moment le plus inopportun. En janvier a commencé la première phase de la « concertation publique » sur le prolongement des réacteurs corrodés de Cattenom.