Forced Amnesia… Avec ce titre, l’artiste luxembourgeoise Mary-Audrey Ramirez, ne signifie pas au public qui visite le premier étage du Casino-Luxembourg qu’il doit oublier le monde réel et présent. Qu’une catastrophe guète la planète qui va retourner aux temps immémoriaux de la Création ou la projeter dans un monde futur de mutants effrayants. Bien au contraire, l’exposition entre dans le champ de l’art contemporain, avec des sculptures, des tableaux, des installations une projection vidéo. Rien que des expressions classiques en somme.
Mary-Audrey Ramirez, début de trentaine, qui vit à Berlin, fait son bonhomme de chemin vers la célébrité en Allemagne. L’exposition du Casino, augmentée de nouvelles pièces, est une collaboration avec la Kunsthalle Giessen, où elle a été montrée en premier. L’artiste a été invitée par Kevin Muhlen, curateur avec Nadia Ismail. Elle a aussi été lauréate du Edward Steichen Award en 2019, avec à la clé une résidence de six mois à New-York.
Les moyens d’expression favoris de Mary-Audrey Ramirez sont la sculpture et, même si on croit en être très éloigné ici, la couture. L’ensemble du travail de l’artiste est basé sur un dialogue avec l’IA en vue de la création d’une œuvre interactive. Le joueur, doté d’une Playstation, rencontre dans cet univers tous les personnages qu’il a vu antérieurement dans les diverses étapes de l’exposition.
Il faudrait d’ailleurs plutôt parler d’ambiances. Il s’agit d’un monde entre-deux, indéfini (les Japonais diraient flottant), parfaitement mis en œuvre et accompagné d’une musique fluide créée par Simon Goff. Il ne s’agit pas pour autant d’oublier la performance, au sens technique du terme, qui est le dialogue de Mary-Audrey Ramirez avec l’IA pour une réalisation suivant exactement ses souhaits. Preuve s’il en est, que l’on peut utiliser la technologie et non pas en être « victime », comme beaucoup le craignent.
Forced Amnesia est, on l’a dit, une exposition finalement classique. Il y a tout d’abord la salle des sculptures, où les créatures du début du monde ou d’un nouveau monde sont disposées sur des socles dans une atmosphère bleutée. Clin d’œil sous-marin, puisque c’est ainsi que la vie sur terre a commencé ou recommencera ?
Réalisés en impression 3D, voici les « monstres ». Le sont-ils tant que cela ? On pense aux contes pour enfants, du 19e siècle à aujourd’hui, où il y a toujours des êtres effrayants. On les a d’ailleurs déjà rencontrés dans l’histoire de l’art : chez Jérôme Bosch, où, à l’époque gothique finissante (quinzième siècle), il fut « le » maître en matière de personnages hybrides. Et les cathédrales, sommet de l’art architectural gothique, ne sont-elles pas couronnées d’inquiétantes gargouilles qui crachent l’eau de pluie comme des dragons crachent du feu ? Pierre sculptée au moyen-âge, création 3D en sable solidifié et poli au 21e siècle : Les geek, les nerds et les adeptes de la culture gothique d’aujourd’hui connaissent bien l’univers de la fantasy.
Suit la galerie des portraits à la chair rose comme des fœtus d’animaux qu’on imagine des êtres à la génétique modifiée… Non seulement, l’imagination et la poésie de Mary-Audrey Ramirez sont ici à l’œuvre dans une maîtrise bluffante de l’IA, mais la matière moirée des impressions sur satin et les cadres en velours rappellent son travail privilégié de la couture. Si d’aucuns pourront trouver cela kitsch, on est ébahis ensuite, au bord du ring entouré de rideaux blancs, où s’affrontent des monstres aux allures de dinosaures préhistoriques et de serpents de la mythologie grecque. Ces créations uniques en tissu, plastique et peinture blanche sont remplies de fibres de kapok comme le sont les poupées. On ne sait quand même pas si on en voudrait comme animal de compagnie, pas non plus les étranges hippocampes dans leur bulle de plastique qui donnent l’impression de flotter dans du formol.
Sans conteste Mary-Audrey Ramirez a un talent fou, une imagination fertile, un savoir faire pointu de l’impression 3D et de l’IA d’avant-garde. Forced Amnesia donne l’occasion à chacun de s’initier à ses résultats visuels. Mais il n’est pas donné à tout le monde de maîtriser les manettes de la Playstation pour participer à l’étape finale : à savoir un jeu vidéo non pas mainstream mais artistique qui est, à n’en pas douter, un créneau d’œuvres d’art futures comme le sont actuellement les films documentaires et avant, les vidéos.
On espère que le Casino-Luxembourg attirera un public jeune, familier de cet univers mais pas nécessairement sur le mode culturel.