C’est un conte de fée qui explique comment on peut relier deux mers d’un coup de baguette magique. La baguette appartient aux États-Unis qui ont décidé de relier le port roumain de Constanta situé sur la mer Noire, et le port polonais de Gdansk situé sur la mer Baltique. Mais ce coup de magie coûte cher car il s’agit d’un projet pour lequel Washington a décidé d’investir sept milliards de dollars. « Nous allons démarrer un nouveau projet qui reliera les ports de Constanta et de Gdansk grâce à une nouvelle autoroute et à une nouvelle voie ferrée, a déclaré le 10 octobre Adrian Zuckerman, ambassadeur américain à Bucarest. Ce projet d’infrastructure sera très profitable aux économies de la Roumanie et de la Pologne dans les années à venir. »
La Roumanie et la Pologne sont les meilleures alliées des États-Unis en Europe, et Washington compte sur ces deux pays situés aux frontières de l’Union européenne (UE) pour mettre en œuvre une nouvelle architecture de défense face aux ambitions expansionnistes de la Russie. À première vue, la Pologne slave et catholique et la Roumanie latine et orthodoxe n’ont pas grand-chose en commun sinon la peur ancestrale de la Russie qui les poussent à se rallier avec la même détermination aux États-Unis. Washington a compris leur besoin de sécurité, et l’US Army s’est servi du tropisme américain de ces deux pays pour avancer ses troupes plus à l’Est.
La Roumanie et la Pologne accueillent déjà plusieurs milliers de soldats américains dans leurs bases militaires, ainsi qu’un bouclier antimissile déployé par Washington dans ces deux pays pour décourager les ambitions expansionnistes de la Russie. Depuis l’invasion de la Crimée les États-Unis renforcent leurs dispositifs militaires en Roumanie et en Pologne, et compte y déménager une partie de leurs soldats basés en Allemagne. Plus de 12 000 militaires de l’oncle Sam quitteront la base allemande de Ramstein, dont la moitié retournera à la maison et l’autre moitié sera redéployée dans plusieurs pays européens, notamment la Roumanie et la Pologne. « Nous allons avoir en Pologne un commandement du corps américain, a déclaré le 31 juillet le ministre polonais de la Défense Mariusz Blaszczak. Ce commandement va gérer les forces déployées sur l’ensemble du flanc oriental de l’Otan. »
Ce renforcement de la présence militaire américaine exige une nouvelle infrastructure capable de relier la Roumanie et la Pologne, pièces principales du nouveau puzzle militaire en Europe de l’Est. C’est dans ce contexte que le projet d’une autoroute et d’une voie ferrée entre Constanta et Gdansk prend tout son sens. « La Roumanie et la Pologne sont nos meilleures alliées pour défendre le flanc oriental de l’Europe contre les agressions de la Russie, a déclaré l’ambassadeur américain Adrian Zuckerman. Une économie puissante possède une meilleure capacité de défense, et une bonne défense permet une économie puissante. » Mais la défense à un prix. La Roumanie a signé des contrats d’un montant de sept milliards d’euros pour installer sur son territoire 450 missiles américains Patriot et acheter 36 blindés Piranha 5, ainsi qu’une escadrille de 17 avions de chasse F-16.
À leur tour les États-Unis s’engagent à construire deux nouveaux réacteurs nucléaires en plus des deux réacteurs dont dispose la centrale nucléaire de Cernavoda, ville située au sud-est du pays, à proximité de Constanta. Le projet sera géré par la société américaine AECom. « Nous avons signé un mémorandum avec la banque d’import-export américaine Eximbank pour un financement de sept milliards d’euros concernant des projets énergétiques et d’infrastructure, a déclaré le ministre roumain de l’Économie Virgil Popescu. C’est le plus gros financement que la banque américaine offre à un État sur la base de projets. »
La Roumanie et la Pologne comptent sur cette effervescence militaire américaine pour apaiser leur peur de la Russie, mais aussi pour renforcer l’infrastructure de transport et énergétique dont elles ont besoin pour dynamiser leurs économies. Les États-Unis ont décidé de caresser ces deux pays dans le sens du poil, et ils se servent de leur position de premier violon de l’Otan pour placer leurs dispositifs militaires plus près de la Russie. « Les menaces n’ont pas disparu après la fin de la guerre froide, assure l’ambassadeur Adrian Zuckerman. La Russie et la Chine veulent dominer l’Ouest et déstabiliser l’actuel ordre du monde. L’Europe et la Roumanie doivent renforcer leurs positions face aux menaces de sécurité. Quant à la Roumanie, elle n’a pas d’allié plus puissant que les États-Unis. » Une alliance qui coûte des milliards de dollars.