C’était un conte de fées mais, comme tous les contes de fée, elle a une fin. La fée, c’est cette Chine bouillonnante qui, dans les années 2000, affichait des taux de croissance à deux chiffres qui faisaient pâlir d’envie l’Occident resté à la traîne. Et quand les chiffres augmentent les ambitions, elles aussi, augmentent. Fasciné par sa puissance, le dragon chinois avait souhaité faire une percée au sein de l’Union européenne (UE). Mais l’Europe s’était montrée frileuse face aux avances de l’Empire du Milieu. Le dragon chinois avait alors découvert le maillon faible de la chaîne européenne, à savoir l’Europe centrale et orientale.
Le conte de fées commence en 2012 à Varsovie avec un partenariat entre la Chine et seize pays de l’Europe centrale et orientale : Pologne, République Tchèque, Hongrie, Slovaquie, Roumanie, Bulgarie, Croatie, Slovénie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Serbie, Bosnie et Herzégovine, Monténégro, Albanie et Macédoine. Baptisé « Format 16 + 1 », ce partenariat avait reçu le feu vert de la Commission européenne l’année suivante à Bucarest, la capitale roumaine, où Pékin s’était engagé à l’inscrire dans le partenariat stratégique Chine-UE.
À l’époque les autorités chinoises avaient promis à l’Europe centrale et orientale une ligne de crédit de dix milliards d’euros et un fonds d’investissement initial de 500 millions d’euros. « Le Format 16 + 1 peut devenir un outil d’intégration de l’Europe tout entière qui sera reliée à la Chine par la nouvelle route de la soie grâce aux projets d’infrastructures et aux voies de communication réalisées conjointement, avait déclaré le Premier ministre chinois Li Keqiang lors du sommet de Belgrade en 2014. Dans ce format nous avons des potentialités complémentaires et des intérêts convergents. »
Depuis l’élargissement de l’UE en 2004, l’écart économique entre l’Est et l’Ouest a diminué mais est encore présent. Plus on va vers l’Est, plus le PIB diminue. Pour les anciens pays du bloc communiste, l’intégration à l’UE a été perçue comme un tremplin vers la prospérité, mais le chemin s’avère long et sinueux. Plus on va vers l’Est, plus augmente la frustration d’un décalage économique face au riche Occident. En 2019 la Roumanie, pays situé aux confins orientaux de l’UE, affichait un PIB par habitant de 11 500 euros, loin derrière un pays comme le Luxembourg, qui affichait 102 000 euros de PIB par habitant. Et quand la Chine promet de donner un coup de pouce pour accélérer les investissements et la croissance, elle est très écoutée dans l’Europe de l’Est.
En 2015 la Roumanie avait signé un accord de plus de sept milliards d’euros avec le fleuron de l’industrie nucléaire chinoise China General Nuclear Power (CGN), pour la construction des tranches n°3 et n°4 de la centrale nucléaire de Cernavoda, ville située au sud-est du pays. Un autre gros contrat concerne la téléphonie mobile et le futur réseau 5G que le Chinois Huawei compte installer dans les pays de l’Europe centrale et orientale. « Nous avons déjà investi un milliard d’euros en Roumanie, a déclaré George Zhang, le PDG de Huawei Roumanie. Nous avons 2 100 employés, et 5 000 autres emplois grâce aux contrats que nous avons signés dans ce pays. »
Même son de cloche dans les autres pays de l’ancien bloc communiste, qui ne perdent pas une occasion d’exprimer leur frustration par rapport à l’Europe de l’Ouest. « La Chine est un bon investisseur alors que l’Union européenne ne réserve à l’Europe centrale qu’une petite partie de ses investissements, a déclaré le ministre des Affaires étrangères polonais Jacek Czaputowicz en juillet 2019, lors d’une conférence de presse conjointe avec son homologue chinois Wang Yi à Varsovie. J’ai encouragé le ministre chinois à investir davantage en Pologne et en Europe centrale. » La Hongrie parie elle aussi sur Huawei pour installer le réseau 5G sur son territoire. « La Hongrie va coopérer avec la Chine en matière de télécommunications, a déclaré le ministre hongrois des Affaires étrangères Peter
Szijjarto lors de sa visite en Chine en novembre 2019. Nous voulons attirer les investisseurs étrangers qui pourront digitaliser notre pays et développer l’Internet des objets. »
Mais le conte de fée chinois en Europe centrale et orientale a subi un coup dur depuis que les États-Unis ont entamé en 2018 une guerre commerciale avec la Chine. Washington a donné la nouvelle consigne à tous ses partenaires de l’Otan en Europe centrale et orientale. Et la voix de l’oncle Sam a été entendue. Le 12 juin, la Roumanie a annoncé la rupture de l’accord conclu avec le groupe du nucléaire chinois CGN. Bucarest met aussi un frein à Huawei. Même son de cloche à Varsovie et dans la plupart des pays d’Europe centrale et orientale. Donald Trump a misé sur la peur de la Russie dans les pays de l’ex-bloc communiste et leur a rappelé que leur sécurité est assurée par l’Otan où l’US Army reste le premier violon. Hormis la Hongrie qui bénéficie d’un partenariat privilégié avec la Russie, les pays de l’Europe centrale et orientale sont en train de tourner le dos aux avances du dragon chinois. Entre l’argent de Pékin et la sécurité militaire promise par Washington, l’Europe centrale et orientale a choisi.