C’est une patate chaude que l’on se renvoie d’un bout à l’autre de l’Union européenne. Le dossier sur la migration divise l’Europe et enflamme les esprits, surtout en Europe centrale et orientale où la peur des réfugiés risque de bloquer la réforme que propose la Commission sur une politique commune à ce sujet. Le « règlement Dublin » qui assure le fonctionnement du système d’asile européen continue d’alimenter les tensions entre les 27 membres de l’Union européenne (UE) en raison de la charge qu’il fait peser sur des pays tels la Grèce, l’Italie, Malte et l’Espagne qui se trouvent en première ligne à ce sujet.
Cinq ans après la crise de 2015, la réforme de la politique migratoire prônée par Bruxelles propose la mise en œuvre d’un mécanisme de solidarité obligatoire. Selon celui-ci, les pays qui refusent d’accueillir les demandeurs d’asile en cas d’afflux devront participer au renvoi des déboutés du droit d’asile par les pays européens où ils sont arrivés vers leur État d’origine. Ainsi les pays d’Europe centrale et orientale qui refuseront d’accueillir des migrants seront mis à contribution. Le groupe de Visegrad, qui comprend la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie, bastions de la résistance contre les réfugiés, rejette en bloc le nouveau pacte de la Commission. « Si nous n’acceptons pas les migrants nous ne pourrons pas les renvoyer », a déclaré le Premier ministre tchèque Andrej Babis le 24 septembre à l’occasion d’une visite à Bruxelles aux côtés de ses homologues hongrois et polonais. « Cette proposition est irréaliste pour la République tchèque et nous ne pouvons pas nous y conformer. Pour stopper les migrations illégales nous devons d’abord arrêter les migrants illégaux lorsqu’ils arrivent sur le sol européen », a-t-il martelé.
Même son de cloche en Hongrie, en Pologne et en Slovaquie. Plus à l’est, en Roumanie et en Bulgarie, les discours sur la migration s’apaisent. Moins développés et moins attractifs, ces deux pays sont à l’abri d’une migration massive. La Bulgarie reste un pays de transit, mais la Roumanie est en train de devenir un pays cible en raison d’un développement économique qui la rend plus attirante. De plus, environ cinq millions de Roumains sont partis à l’Ouest à la recherche d’une vie meilleure, et cette hémorragie de main-d’œuvre pose un énorme problème aux entreprises. « J’ai embauché des Vietnamiens et des Chinois, déclare Doru Tudorache, patron d’une entreprise immobilière à Bucarest. Trouver des ouvriers roumains pour les faire travailler sur mes chantiers est mission impossible. J’ai laissé tomber et j’ai fait appel à une société de recrutement pour embaucher des ouvriers asiatiques. »
Pour l’instant la Roumanie et la Bulgarie ne prennent pas position au sujet du nouveau pacte migratoire proposé par la Commission européenne. La résistance à ce projet est au sommet dans les pays de l’Europe centrale plus développés et attirants pour les candidats à l’immigration. Pourtant les pays de l’Europe de l’Est ont connu eux aussi leurs vagues migratoires. Après l’insurrection hongroise de 1956, plus de 200 000 Hongrois sont venus en Occident. Le même nombre de Tchécoslovaques a fui le pays en 1981 après l’écrasement du « Printemps de Prague » en 1968. Plus de 250 000 Polonais sont partis à l’Ouest après la proclamation de la loi martiale en 1981 qui a mis fin à l’expérience de « Solidarité ». Amnésie de l’histoire ? « Les pays occidentaux ont mis en place un modèle libéral de sociétés multiculturelles alors qu’en Europe de l’Est les sociétés ont été fermées jusqu’en 1989, explique l’historien roumain Serban Carstea. On ne change pas de modèle de société en un temps aussi court. »
Pourtant les 27 membres de l’UE sont condamnés à trouver un accord sur une nouvelle politique migratoire. L’échec d’un accord entre les États à ce sujet mettrait en danger le plan de relance de 750 milliards d’euros adossé au budget 2021-2027 en cours de négociation entre le Parlement, le Conseil qui représente les États et la Commission. Conclu suite à un sommet marathon en juillet dernier, ce plan devrait être mis en œuvre en janvier 2021, mais le Parlement européen exige que les subventions européennes soient liées au respect de l’État de droit par les gouvernements. La Hongrie et la Pologne sont dans le collimateur de Bruxelles, ces deux pays se montrant les plus réticents en matière de migration.
Le Premier ministre hongrois Viktor Orban, qui se veut le champion de la droite anti-immigration en Europe, propose que les demandes d’asile soient traitées dans les ambassades hongroises à l’étranger. « Personne ne peut entrer sur le territoire hongrois sans avoir fait une demande légale et obtenu une autorisation à ce sujet, a-t-il déclaré le 24 septembre à l’occasion d’une visite à Bruxelles. L’immigration en Hongrie est une question de sécurité nationale. » Cet ancien libéral et militant anticommuniste s’affiche aujourd’hui en protecteur de l’identité culturelle de l’Europe et dit « non » à tout projet de société multiculturelle. Ses opinions sont partagées par les autres dirigeants du groupe de Visegrad qui suivent de près la ligne de Budapest. « Nous campons sur nos positions en insistant sur un contrôle des frontières le plus rigoureux et efficace possible », a déclaré son homologue polonais Mateusz Morawiecki qui s’est trouvé à ses côtés lors de leur visite à Bruxelles. Le nouveau pacte sur la migration n’est pas prêt d’être conclu.