Roumanie

Le Covid-19 entre en politique

d'Lëtzebuerger Land vom 14.08.2020

Une simulation, un mensonge, une manipulation, un complot orchestré à l’échelle mondiale, Satan en personne, un truc extraterrestre, un microbe issu d’un univers parallèle qui nous est tombé dessus… Les théories du complot font florès en Roumanie et mettent en difficulté les autorités qui s’efforcent de contenir les effets de la pandémie du Covid-19. « Nous avons eu des personnages publics, y compris des médecins, qui se sont opposés aux mesures préventives que nous avons prises, a déclaré Raed Arafat, secrétaire d’État chargé de gérer les urgences. Ils ont poussé les gens à ne pas respecter les règles en invoquant toutes sortes de théories du complot. »

La Roumanie s’efforce de contenir une deuxième vague de l’épidémie du Covid-19. Le nombre de personnes infectées monte en flèche. A la mi-juin, après deux mois de confinement, la Roumanie comptait 14 313 malades touchés par le virus. À la mi-août, le ministère de la Santé annonçait 63 762 personnes infectées, dont 2 764 sont décédées. Plusieurs pays de l’Union européenne ont imposé des restrictions sur les voyages en Roumanie, tandis que d’autres, comme la République Tchèque et la Lituanie, ont mis ce pays sur leur liste rouge. Début août, la Belgique a ajouté
24 des 41 départements roumains sur sa liste, ce qui veut dire une mise en quarantaine de quatorze jours.

Le combat contre la pandémie du Covid-19 possède aussi une dimension politique qui complique la mission du gouvernement. Derrière le coronavirus, les partis politiques se livrent une bataille à couteaux tirés. Le gouvernement libéral minoritaire au pouvoir depuis novembre 2019 ne dispose pas d’une majorité au Parlement où les décisions sont contrôlées par les sociaux- démocrates. Les élections municipales qui auront lieu le 27 septembre provoquent déjà des affrontements entre la gauche et la droite en pleine pandémie. Le Parti social-démocrate (PSD) a tenté par tous les moyens de bloquer les décisions du gouvernement, et la Cour constitutionnelle (CCR) semble faire son jeu.

Le 2 juillet, à la demande des sociaux-démocrates, la Cour a décidé que la quarantaine ordonnée par le gouvernement pour limiter la propagation du coronavirus serait « une privation de liberté », les restrictions imposées par le gouvernement « une atteinte aux droits fondamentaux ». Bref, depuis la décision de la CCR, toutes les mesures prises par le gouvernement pour maîtriser la pandémie sont considérées anticonstitutionnelles. « Nous n’allons pas permettre au gouvernement de transformer la Roumanie en un camp de concentration sanitaire », a déclaré le leader des sociaux-démocrates Marcel Ciolacu.

Les Roumains touchés par le Covid-19 et hospitalisés peuvent désormais quitter les hôpitaux sur simple demande. Plus de 600 malades sur les 7 810 personnes hospitalisées et déclarées positives sont retournés chez eux. À l’hôpital Marius Nasta de Bucarest, plusieurs d’entre eux ont quitté l’hôpital. « Nous avons un jeune malade de 24 ans qui vient de partir, a déclaré Beatrice Mahler, directrice de l’hôpital. Nous ne pouvons pas les empêcher de partir parce que maintenant le patient a le droit de décider s’il veut quitter l’hôpital. Nous, les médecins, nous essayons de leur expliquer les risques auxquels ils s’exposent. Le jeune qui vient de quitter l’hôpital nous a assuré qu’il n’entrerait pas en contact avec d’autres personnes, mais il a appelé ses parents qui sont venus le chercher. »

Le premier ministre libéral, Ludovic Orban, est en colère contre la décision de la CCR. « Ce n’est pas la première fois que la Cour constitutionnelle veut nous empêcher de veiller à la santé et à la vie de nos concitoyens, a-t-il déclaré. Elle a déjà annulé toutes les amendes infligées aux personnes qui n’ont pas respecté l’état d’urgence. Je ne peux que recommander aux Roumains de respecter les décisions du gouvernement pour se protéger eux-mêmes. Ne tenez pas compte des décisions de la Cour et soyez responsables. »

L’appel désespéré du Premier ministre n’a pas convaincu les 600 personnes infectées de rester à l’hôpital. Elles ont réintégré leurs familles et elles se promènent en toute liberté alors que le nombre d’infections monte en flèche. « La décision de la Cour nous a ôté tous les moyens d’agir et a compliqué notre mission, a affirmé le ministre de la Santé, Nelu Tataru. Nous avons l’identité des malades qui ont quitté les hôpitaux mais nous ne pouvons rien faire. Il y a des gens qui appellent au non-respect des règles, mais il est temps qu’on oublie la politique. Ce n’est pas une question politique mais la santé de la population sur les dix prochaines années. J’espère que la santé du peuple roumain ne fera pas l’objet d’enjeux politiques. » À voir.

Mirel Bran
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