Dans le cadre des « Week-ends à la Cinémathèque », une pléiade de films généreux est proposée au public tout au long du mois de juin. Parmi ces œuvres remarquables figurent quelques incontournables, comme les fiévreux Amants diaboliques (1943) de Luchino Visconti, une comédie de Billy Wilder (One, Two, Three, 1961), le film qui rendit James Dean définitivement célèbre (Rebel without Cause, 1955), ou encore une très belle adaptation du roman de Gabriel Garcia Marquez par Francesco Rosi (Chronique d’une mort annoncée, 1987). Sans oublier quelques plus récents joyaux, tels que Les Citronniers (2008) d’Eran Riklis ou Moonrise Kingdom (2012) de Wes Anderson par exemple. Notre attention s’est finalement portée sur Le Mépris (1963), aussi bien pour honorer les vivants (Bardot, Godard) que pour rendre hommage à ce grand acteur qui nous a quitté il y a deux ans en plein confinement, Michel Piccoli (1925-2020).
Avec Le Mépris, c’est tout d’abord la machinerie du cinéma qui se voit mise à nu. On y déconstruit les conventions et cela, dès le générique, qui n’est point écrit mais énoncé oralement par Godard lui-même : « C’est d’après le roman d’Alberto Moravia. Il y a Brigitte Bardot et Michel Piccoli. Il y a aussi Jack Palance et Giorgia Moll. Et Fritz Lang... ». Le lien avec l’histoire du cinéma est assuré par la présence exceptionnelle du réalisateur allemand, auteur célèbre de Metropolis (1927) et de M le Maudit (1931), tandis que la musique de Georges Delerue insuffle une tonalité lyrique introduisant le spectateur au thème de l’amour (déchu), celui de Camille (Bardot) et de Paul (Piccoli). Cette présentation de la distribution est effectuée au moment où, à l’image, le fidèle directeur de la photographie Raoul Coutard est en train d’opérer un travelling latéral, qui s’arrêtera sur un face-à-face inédit entre deux caméras. Le dispositif technique, habituellement dissimulé dans les films, intègre enfin le champ de l’image : une démystification des coulisses caractéristique du style de Godard et, plus largement, de la révolution esthétique et politique engagée dans les années 60 (voir par exemple le cas-limite représenté en 1971 par Prenez garde à la sainte putain de Rainer Werner Fassbinder). Le processus de fabrication ainsi dévoilé, le film constitue aussi bien une entité finie qu’une production en acte, comme les marques de pinceau se donnaient à voir sur la toile avec les peintres de la Modernité (Cézanne, Seurat, etc.). Les filtres rouges, jaunes et bleu qui scandent la séquence érotique au cours de laquelle Bardot scrute les différentes parties de son corps jettent les couleurs dominantes du Mépris. C’est le rouge de la passion amoureuse, le jaune du soleil, l’azur du ciel et des flots qui bordent de toutes parts le film. Soit des teintes méditerranéennes qui reproduisent la polychromie dont étaient autrefois couvertes les statues grecques. Puis vient cette déclaration d’amour au cinéma que Godard, malicieux, attribue fallacieusement au critique André Bazin : « Le cinéma (…) substitue à notre regard un monde qui s’accorde à nos désirs. Le Mépris est l’histoire de ce monde ». Le cinéaste est habité comme jamais, et Le Mépris est sans aucun doute l’un de ses plus beaux longs-métrages. Peut-être parce que l’expérimentation formelle dans laquelle Godard s’est souvent complu se doit ici de composer avec un récit hérité de la tradition antique : une histoire d’amour, vieille comme le monde...
Lors de sa sortie en salle, en 1964, la bande-annonce du Mépris insiste particulièrement sur ses aspects traditionnels : l’histoire d’amour entre Camille et Paul, la gifle, la scène du baiser, le fétichisme de l’Alfa Romeo… Autant de clichés avec lesquels s’amuse le cinéaste. La star féline aux courbes envoûtantes – dont le cachet, estimé à plus de deux millions de francs, équivaut à la moitié du budget global de la production ! – permettra de faire connaître au grand public Michel Piccoli, alter ego du cinéaste dans le film, qui débutera la même année une longue collaboration avec Luis Buñuel.