Roumanie

Chasse à l’ADN de l’ours

d'Lëtzebuerger Land vom 20.08.2021

La chasse à l’ours a commencé mais les 6 700 plantigrades qui vivent en Roumanie n’ont rien à craindre. Ils ne vont pas se retrouver dans la ligne de mire des chasseurs, mais dans celle des experts en génétique qui s’apprêtent à créer la plus grande base de données sur l’ours en Europe. La Roumanie possède le plus grand nombre d’ours en Europe. Selon les statistiques de l’association World Wildlife Fund (WWF) qui recensent 18 000 ours en Europe, presque quarante pour cent d’entre eux se trouvent en Roumanie. Mais si leur nombre est estimé avec une précision satisfaisante, il est difficile d’obtenir une radiographie exacte de ce trésor de la faune européenne. Combien de mâles et de femelles y a-t-il ? Quelle est la dynamique de leur reproduction, et quelles sont les catégories d’âge ? Combien d’entre eux sont en bonne santé et combien sont malades ? Quels sont ceux qui descendent dans les villages et dans les villes pour se procurer de la nourriture, et quels sont ceux qui restent dans leur habitat naturel ?

Autant de questions auxquelles les nouvelles technologies apportent une réponse, à savoir l’empreinte génétique que l’on obtient en examinant l’ADN présent dans les poils et dans les fèces (excréments). « L’empreinte génétique est la méthode la plus fiable pour estimer la population des ours, a déclaré Barna Tanczos, le ministre de l’Environnement et des Eaux et Forêts. Cette opération est une première scientifique car cette méthode n’a jamais été appliquée à une population d’ours aussi nombreuse que celle qui se trouve en Roumanie. Chaque preuve génétique aura un code barres qui permettra de digitaliser les informations obtenues sur la base d’analyses ADN. Nous allons travailler avec des experts norvégiens, britanniques, suédois, slovènes et slovaques », poursuit le ministre.

L’UE financera ce projet à hauteur de dix millions d’euros. Outre cette radiographie complète de la population ursine, le gouvernement prévoit l’ouverture d’un centre de soins pour les plantigrades malades, dont le coût est estimé à deux millions d’euros. Plus de soixante hectares de forêts ont été réservés à ce projet à proximité de Brasov, ville située aux pieds des Carpates, dans le centre du pays. « Ce projet est vital pour régler le problème de l’interaction entre l’homme et l’ours, a déclaré Cristian Ghinea, ministre des Investissements et des projets européens. Il s’agit d’une approche nouvelle qui permettra un management moderne de la population ursine. Ce projet permettra aussi de limiter les incidents lors des interactions entre les hommes et les ours. »

Ces dernières années, de plus en plus d’ours ont pris l’habitude de descendre dans les villages et les villes à la recherche de nourriture. Le nombre d’attaques a été multiplié, faisant souvent des victimes. Au pays de Dracula l’ours est le roi des forêts et il s’est reproduit à toute vitesse, profitant d’un cadre juridique qui le rend intouchable. En 2015, la Roumanie s’est dotée d’une nouvelle loi pour adapter sa législation avec la directive européenne « Habitats ». La chasse de l’ours a été interdite et les braconniers risquent de lourdes peines de prison.

Quant aux ours qui descendent dans les villages et dans les villes, la loi prévoit qu’il faut appeler un numéro d’urgence, et seules les autorités sont autorisées à intervenir. Le but de l’opération est de faire peur à l’animal sans mettre sa vie en danger. « Nous avons peur de sortir de chez nous », affirme Fodor Istvan, le maire de Bodoc, village situé au centre du pays très fréquenté par les plantigrades. « Les ours sont partout, ils entrent dans les restaurants et dans les hôtels, et ils ont appris à ouvrir et à vider les frigidaires. Ils mangent tout ce qu’ils trouvent, y compris la viande congelée. On ne peut rien faire contre eux. On appelle les gendarmes qui essaient de leur faire peur avec des pétards, mais ça ne marche pas à tous les coups. La seule solution est d’autoriser leur chasse », prétend l’élu.

Mais chasser l’ours n’est pas une mince affaire. Seuls les ours qui attaquent l’homme peuvent être abattus, et les chasseurs doivent attendre qu’un ordre soit signé par le ministre de l’Environnement, lequel ne peut signer qu’après avoir reçu le feu vert de l’Académie roumaine. Une telle procédure rend leur abattage mission impossible. En 2020, seulement vingt ours ont été abattus. Le gouvernement s’apprête à approuver une nouvelle ordonnance pour faciliter la chasse de l’ours à partir de la rentrée. « Nous n’avons pas été élus par les ours mais par les hommes », a déclaré le vice-premier ministre Kelemen Hunor. « Nous devons trouver un équilibre dans la gestion de ce problème. Nous n’avons rien contre les ours, mais nous avons été élus pour protéger les hommes avant tout. »

La polémique entre le gouvernement et les associations de défense des animaux est loin d’être finie. Les associations considèrent que c’est la responsabilité de l’homme d’éviter le contact avec l’ours. Elles accusent le gouvernement de céder face à la pression des paysans et lui demandent de continuer à respecter la directive européenne à ce sujet. Mais la méthode de l’empreinte génétique devrait calmer les esprits. L’analyse ADN permettra de localiser les ours qui ont pris l’habitude de se servir dans les frigidaires des paysans, ainsi que ceux qui attaquent l’homme. La future radiographie de la population d’ours en Roumanie et de ces comportements permettra d’isoler les spécimens qui posent problème. L’ours restera le roi des Carpates, mais ses contacts avec l’homme seront limités. La paix entre l’homme et l’ours se trouve dans l’ADN du plantigrade.

Mirel Bran
© 2024 d’Lëtzebuerger Land