La présentation du programme du LuxFilmFest est un moment attendu où Alexis Juncosa, son directeur artistique, égraine des dizaines de titres de films, tous plus formidables les uns que les autres, tous incontournables et qui rendent l’équipe très fière. D’année en année, le festival a grandi, gagné en crédibilité internationale, en visibilité locale et en prestige. Avec 40 000 spectateurs l’année dernière, c’est un incontournable du calendrier culturel. Il manque sans doute encore au festival un réel engouement populaire pour devenir un incontournable tout court. Car même si Juncosa considère que le festival ne doit pas être réservé aux cinéphiles, ni ressembler à une « cathédrale », il précise au Land qu’il s’agit de défendre « un cinéma hors des canaux et des standards ».
Cette année, le marathon cinématographique compte 123 films, sélectionnés par un comité qui en a visionné 800. Signe particulier : une majorité des réalisateurs sont des réalisatrices. « Ce n’est plus vraiment un sujet de discussion. On a toujours été attentif à une certaine parité, aujourd’hui, cela va de soi », explique le directeur artistique. À commencer par le film d’ouverture The Outrun de Nora Fingscheidt, où Saoirse Ronan incarne une femme qui, sortant d’une cure de désintoxication, retourne dans les îles sauvages des Orcades en Écosse. Elle y trouve du réconfort dans la beauté des paysages accidentés et des vagues, des moments entrecoupés de souvenirs de ses relations sabotées. À l’autre bout du festival, le film de clôture est aussi un film réalisé par une femme, Love Lies Bleeding de Rose Glass. Kristen Stewart vit une descente aux enfers, dans cette œuvre très « pulp » où amour, sexe et violence s’entremêlent. Lors de la soirée de remise de prix, Vicky Krieps sera à l’honneur avec la projection du film The Dead Don’t Hurt où elle partage l’affiche avec Viggo Mortensen, également réalisateur. Ce drame en costumes se situe dans l’Amérique de 1860 où un couple formé par une Canadienne francophone et un immigré danois se voit séparer par la Guerre de Sécession.
La comédienne luxembourgeoise sera présente (ce qui n’est pas si courant) pour cette projection et fera aussi partie du jury international. Pour la première fois, un Américain présidera ce jury. Avec ses films à la fois grand public et exigeants, le réalisateur Ira Sachs (Passages, Frankie, Brooklyn Village, Love is Strange) signe un cinéma « frais, jeune et convivial », selon les mots choisis par Alexis Juncosa. L’acteur allemand Sebastian Koch (The Lives of Others, Danish Girl), la scénariste française Nathalie Hertzberg (nommée aux César pour Le Procès Goldman) et la productrice Marianne Slot (Dancer in the Dark, Antichrist) complètent le jury de la compétition officielle. Les huit films engagés dans la course s’intéressent principalement aux questions liées à la famille, aux choix de vie, notamment des adolescents.
Du côté de la compétition documentaire, il sera beaucoup question de mémoire. Celle qui fout le camp à cause de la maladie, celle qui doit être écrite au pluriel quand il s’agit de souvenirs ou celle qui s’inscrit dans les corps ou dans les paysages. Le jury rassemble, comme d’habitude, des responsables d’autres festivals un peu partout en Europe. Il sera présidé par Fanny Barrot, déléguée générale, du festival de courts-métrages de Clermont-Ferrand.
Pour la sélection officielle hors compétition, les organisateurs du LuxFilmFest ont pioché dans les programmes et les récompenses de dizaines de festivals. Ainsi, Animal de Sofia Exarchou a raflé des prix à Locarno, Thessalonique ou Bruxelles, le japonais Evil does not exist de Ryûsuke Hamaguchi a été salué à Venise, Londres et Barcelone, Paradise is burning du Suédois Mika Gustafson a remporté des prix à Lisbonne, Lübeck, Londres et Venise… Pour n’en citer que quelques-uns parmi la quinzaine de films de cette sélection. Le film de genre a toujours eu une place de choix dans la programmation du LuxFilmFest et encore plus depuis l’année dernière avec une section spécifique « Late night bizarre ». Thrillers, films d’horreur ou fantastiques sont au programme avec cette fois plusieurs réalisatrices asiatiques et un Américain culte, Bill Plympton. Grand classique du festival, la section des « film made in/with Luxembourg » met à l’honneur les coproductions luxembourgeoises. La soirée des courts-métrages est aussi l’occasion de découvrir les jeunes pousses et nouveaux talents. Neuf films sont présentés cette année.
Comme toujours, beaucoup d’invités sont attendus. De nombreux réalisateurs viendront présenter leurs films et répondre aux questions des spectateurs. Notamment, le réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako, qui présentera son film Black Tea en compétition à la prochaine Berlinale avec les coproducteurs de la société luxembourgeoise Red Lion. Une carte blanche lui a été donnée et il présente un film du réalisateur cap-verdien Carlos Yuri Ceuninck. The new Man Il raconte l’histoire de Quirino, 77 ans, ayant vécu plus de trente ans dans un village abandonné du Cap-Vert perché dans une profonde vallée, entre mer et montagne. La séance sera suivie d’un débat sur « un état des lieux du cinéma africain »
Le festival ce n’est pas seulement des films, ce sont aussi des échanges, des ateliers, des conférences pour notamment « préparer les acteurs du futur », selon Juncosa. Ainsi Gaspar Noé donnera une masterclass. Il bénéficiera aussi d’une rétrospective complète de ses longs-métrages. Le Français s’est taillé une réputation singulière dans le milieu de la réalisation, et ce, dès 1998 avec Seul Contre Tous, un premier long qui affirme une tendance à l’irrévérence. On lui retrouve cette réputation avec Irréversible (2002), Enter The Void (2009) ou Love (2015). Avec Climax (2018) et Vortex (2021) il finit de signer une œuvre qui divise autant qu’elle passionne
Autre pointure à découvrir à travers des films, une exposition et une autre masterclass, Wang Bing. En 2002, À L’ouest Des Rails avait stupéfiait le monde du documentaire. Cette œuvre de neuf heures documentant la destruction d’un complexe industriel chinois imposait son auteur sur la scène internationale. Avec plus de vingt films à son compteur, il n’aura de cesse de documenter la société chinoise, multipliant les formats, de la fiction au documentaire, du documentaire à la photographie.
L’offre du LuxFilmFest est foisonnante. Elle causera des frustrations à ceux qui veulent tout voir. Elle entraînera des débats. Elle suscitera peut-être des vocations. Sera-t-elle suffisamment ouverte pour attirer un large public ? C'est une autre question.