À chaque parti ses gimmicks électoraux. Le CSV promet « eng öffentlech Veloswäschstatioun » et une salle pour « le yoga, la sophrologie et la gym douce ». Le DP rêve d’« espaces canins attrayants » avec des « parcours homme-chiens [munis] de vidéos à code QR et de panneaux d’exercice ». Les Verts veulent lancer des « monnaies locales » pour soutenir les commerçants et des « moutons itinérants » pour pâturer les prairies. L’ADR s’engage pour des « cimetières d’animaux » et des « bourgmestres à temps plein » pour chacune des cent communes.
Les élections communales se gagneront par la politique du trottoir. Mais, sur le papier du moins, les partis se doivent de prendre position sur les sujets sérieux que sont le climat, le logement et l’éducation. Après la canicule de 2019 et les inondations de 2021, tous évoquent ainsi les nouvelles réalités climatiques. Déi Gréng consacre ainsi un chapitre entier à la « résilience », tandis que le LSAP plaide pour « un descellement maximal » des sols. Même l’ADR se soucie des « Wiederextremer » auxquels il faudrait s’adapter, tandis que le CSV parle de « plans canicule » communaux et le DP de végétalisation « adéquate ». Les réaménagements récents de Hamilius, de la Place de Paris et du Knuedler parlent une langue plus minérale.
En matière d’urbanisme, des divergences programmatiques apparaissent. Ainsi, le CSV n’exclut pas la possibilité d’étendre les périmètres de construction. Affichant fièrement son idéologie propriétariste, l’ADR n’y voit pas de « tabou absolu », tout en s’offusquant, quelques phrases plus loin, du « bétonnage » de la nature. Déi Gréng disent renoncer à « toute extension globale », tandis que le LSAP se positionne contre une « expansion inutile ». Le premier plaide pour une « densification intelligente », le second pour « une densification maximale » des nouveaux projets de construction. Peu importe que le député-maire de Dudelange (et président du LSAP) se soit battu des années durant pour un faible degré de densité du quartier Neischmelz. Comme la plupart des politiciens locaux, Dan Biancalana invoqua l’« acceptation » des riverains, le « trafic » et la « qualité de vie ».
Les Verts proposent un « contrôle de durabilité », et ceci pour tous les projets de construction publics ou privés. La même idée se retrouve dans les programmes de Déi Lénk et du LSAP. Elle rappelle le « Nohaltegkeetscheck » pour les projets industriels qu’avaient annoncé la ministre verte Carole Dieschbourg et son collègue socialiste Franz Fayot au lendemain du fiasco Fage, en septembre 2020. Le comité interministériel fut long à se mettre en place, le ministre de l’Économie concédant récemment qu’aucun dossier n’avait jusqu’ici été « définitivement avisé ». Une transposition sur le terrain glissant des communes s’avérera donc délicate.
La photovoltaïque, grande gagnante de la transition énergétique dans le monde, est largement absente des programmes-cadres. La plupart des partis se bornent à promettre que les administrations commenceront par équiper leurs propres toits. L’attention se fixe sur les éoliennes. L’ADR en salue « la règlementation sévère », le DP promet une « étroite collaboration » avec les riverains, afin de répondre aux « éventuelles inquiétudes », les Verts espèrent intéresser les citoyens « en tant que co-exploitants ». À l’aube des élections, tous vantent la « Biergerbedeelegung », quitte à risquer la paralysie Nimby. Pareil à lui-même, l’ADR promet des référendums à gogo, un pour chaque projet d’envergure. Déi Gréng donnent libre cours à leur optimisme technocratique en proposant des sortes de focus groups qu’ils appellent « conseils citoyens représentatifs ». Ceux-ci devraient « régulièrement » échanger avec les élus et « seront impliqués » dans la prise de décisions. Le CSV, le LSAP et Déi Lénk plaident, eux, pour l’introduction d’un « budget participatif ». L’idée est née en 1988 à Porto Alegre où le Parti des Travailleurs cherchait à mobiliser sa base et à redistribuer l’argent des quartiers riches vers les quartiers populaires. Transplanté 35 ans plus tard dans le contexte luxembourgeois, le concept a perdu de son tranchant. Le LSAP évoque ainsi un budget « spécial » qui pourrait financer « des mesures pour embellir le village » ou « la mise en place d’un kiosque ».
Le DP fait débuter son programme-cadre par les enfants, l’école et « l’avenir ». Les libéraux promettent de réussir au niveau communal ce qu’ils ont raté au niveau national : « Chaque enfant doit avoir accès à une école à journée continue ». Le CSV reste aussi vague que possible : « Mir wëllen d’Méiglechkeeten vun der Ganzdagesbetréiung iwwerdenken ». Le LSAP parle pudiquement de « garde d’enfants de qualité à temps plein », pressentant que le mot « Ganzdagschoul » provoquera l’ire des enseignants, puissant groupe électoral. Le parti socialiste veut une chose et son contraire. D’un côté, il plaide pour des « communes autonomes et souveraines », de l’autre, il revendique « un concept pédagogique uniforme » qui assurerait « l’équité des chances entre les enfants dans toutes les communes ». Puisque plus personne ne croit en la faisabilité d’une « Ganzdagschoul », tous souhaitent un « rapprochement » entre écoles et maisons relais, c’est-à-dire entre enseignants et éducateurs qui le plus souvent ne s’apprécient guère. La question du « tourisme scolaire » n’est soulevée par aucun parti. Cette pratique est tellement répandue que sa politisation relèverait du suicide électoral. Quant à redessiner les cartes scolaires pour briser les ghettos et assurer un mélange sociolinguistique entre écoles, cela reste du domaine de l’impensable. Déi Gréng préfèrent donc parler d’« airtramps » et d’espaces « snoezelen ». Le LSAP évoque bien la « fracture éducative », mais ne propose pas de solutions structurelles pour la colmater. Seul Déi Lénk ose évoquer la répartition des ressources entre écoles (les « contingents »), qui devrait tenir davantage compte de critères sociaux.
Au niveau national, le CSV et l’ADR critiquent un « einseitiges Kinderbetreuungsmodell » que tenterait d’imposer le ministère, et revendiquent un nouveau « Elteregeld ». Le ressentiment culturel et social contre les foyers et les crèches est très répandu : En moins d’une année, trois pétitions ont atteint le seuil des 4 500 signatures, la dernière au début de ce mois-ci. Or, ces critiques sont entièrement absentes des programmes-cadres communaux. Le CSV y promet : « Mir setzen ons fir d’Schafung vun kommunale Crèchen an ». Message transmis à Léon Gloden. Le député-maire CSV dirige depuis douze ans la ville de Grevenmacher, sans l’avoir équipée d’une seule crèche communale. Il préfère soigner son image « law & order » et parler de criminalité (en col bleu).
Dans son programme-cadre, qui n’en est pas un (lire ci-contre), le CSV rappelle que la sécurité compte parmi les trois « Uraufgaben » de la commune, avec la salubrité et la tranquillité. Le parti conservateur propose de créer un « corps auxiliaire » rattaché à Police grand-ducale mais soumis au bourgmestre. Une position que partage le DP qui veut œuvrer « à la réinstauration d’une politique communale ». Les libéraux de droite se retrouvent entre eux. Plus que celle de Corinne Cahen, le chapitre « Des communes propres et sûres » du programme-cadre du DP porte la signature de Lydie Polfer. L’injonction d’éloignement « light » serait insuffisante, y lit-on, la présence policière devrait être renforcée. La maire de la capitale persiste et signe : « Il est également envisagé d’avoir recours à des entreprises de sécurité privée ». L’ADR est tout à fait d’accord : « Mir si bereet, fir eng privat Sécherheetsfirma patrulléieren ze loossen ».
L’ADR occupe le même créneau que le CSV et le DP. Il décrit les mendiants comme victimes de « bandes », qui abuseraient de la libre circulation des personnes et qu’il faudrait « stopper ». (Même si le terme de « Roms » n’apparaît pas, il est implicite.) L’ADR peint une image apocalyptique de villes marquées par la « Bandekriminalitéit » et la « Brutalitéit vun Iwwergrëffer » : « Kriminell Dote ginn ëmmer neess ënnert den Teppech gekiert ». Déi Gréng louent, eux, leur ministre Henri Kox et évoquent « la plus importante offensive de recrutement de l’histoire de la Police ». Ils sont par contre mal placés pour critiquer la privatisation du monopole de la violence, leur maire (déchu) de Differdange ayant eu recours aux vigiles privés dès juillet 2019.
Non sans habilité, le LSAP arrive à retourner ce discours. Il fait débuter son chapitre sur la sécurité par celle des cyclistes et piétons. Les pistes cyclables, Déi Gréng les préfèrent séparées « dans la mesure du possible », le CSV les veut « do wou et Sënn ergëtt », le DP les souhaite « sûres et partiellement réservées [teilweise exklusiv] ». Les libéraux marchent sur des œufs : Ils évoquent une « mobilité douce acceptable [zumutbar] ». Ils promettent d’« examiner » la gestion de la circulation en ville et d’« analyser » dans quelle mesure des voies publiques « pourraient céder la place » à des voies piétonnes et des pistes cyclables.
L’ADR ne s’embarrasse pas de telles contorsions. Le parti populiste célèbre la voiture comme synonyme de « liberté » et d’« indépendance ». Il s’oppose à « toute forme de mesure dirigiste » qui viserait à « pousser » les automobilistes vers d’autres moyens de transport. Il faudrait au contraire assurer des places de parkings dans les villes, de préférence gratuites. Le DP est plus pudique, ne plaidant que pour « suffisamment de possibilités de stationnement dans les nouvelles zones industrielles et d’activité », sur lesquels le parti « désire continuer à miser ». Quant aux clefs de stationnement pour les nouvelles résidences, le parti libéral « examinera » si ces prescriptions « rigides » font toujours sens. Déi Gréng disent « réduire » les emplacements de parkings, tout comme le LSAP, qui y ajoute les adverbes « progressivement, mais résolument ». Déi Lénk attaquent, eux, de front la fraction SUV, revendiquant une règlementation « limitative et restrictive » pour les voitures à moteurs de haute puissance.