Un poing recouvert de boue s’élance dans un ciel noir. Du feu et de la glace jaillissent. Pour la couverture de son programme-cadre, le CSV semble s’être inspiré du Marvel Cinematic Universe. L’esthétique dramatique colle mal à l’anémie du contenu. Le texte tient en seulement 17 pages. Offciellement, il s’agit de « Programmelementer », d’un « document de travail » duquel les sections locales peuvent s’inspirer… ou pas. Ce programme-cadre qui n’en est pas un, le CSV n’a même pas pris la peine de le traduire. Seule une version en luxembourgeois existe à l’heure actuelle. Le parti y promet pourtant au point 4.3 : « Mir wëllen e Kontext schafen, an deem kee Mënsch ausgeschloss ass oder vergiess gëtt ». C’est ce qu’on appelle une contradiction performative. Bourré de coquilles typographiques, le document exprime un certain embarras politique. Comment « cadrer » des élections communales tout en glorifiant l’autonomie des cent maires ? Du coup, mieux vaut s’en tenir à la portion (programmatique) congrue… Le CSV insiste, dès le début du document, sur le sacro-saint principe de l’autonomie communale qu’il voudrait « renforcer ». En même temps, il se présente comme le parti de Luc Frieden. Dès la huitième phrase, on lit : « D’CSV steet fir eng ëmsiichteg a kompetent Finanz- a Budgetspolitik an onse Gemengen ». Puis de revendiquer, une page plus loin, davantage de moyens financiers. La réforme des finances communales de Dan Kersch devrait être remise sur le métier afin d’« adapter » la répartition des subventions étatiques. Une demande, sans doute, des bourgmestres ruraux.
« Tiny houses », « armoires à livres », « tiers lieux », « Bëschcrèche », « éclairage LED » ; tels sont les buzz-words des communales de 2023. On les retrouve dans les programmes-cadres de tous les partis, sauf celui des Pirates, qui n’a toujours pas été publié. Il sera avalisé dans trois semaines, ce qui devrait donner aux troupes de Sven Clement le temps de faire du copier-coller.
Le programme-cadre du DP (trente pages) se lit comme un compromis bancal entre libéraux de gauche et de droite. Dans un chapitre, on met l’accent sur « l’égalité des chances », dans un autre, sur le tout-sécuritaire. (Surgit par exemple cette phrase aux consonnances autoritaires : « Il y a lieu d’étouffer à la source tout danger né d’une radicalisation et d’un extrémisme croissants ».) D’un point de vue économique, le parti reste pareil à lui-même, plaidant pour des « financements alternatifs », comme les partenariats publics-privés. Le contrôle des comptes devrait être externalisé : « Le DP défend l’idée que chaque commune doit se soumettre à un audit financier réalisé par un cabinet d’audit tous les douze ans ». Ce qui devrait réjouir les Big Four.
Le LSAP évoque l’histoire glorieuse (et largement passée) des bastions rouges. « Depuis 120 ans, le LSAP est fortement ancré dans les communes », lit-on dans le préambule. Après la défaite cuisante de la grève générale de 1921, le mouvement ouvrier avait changé de terrain de luttes. Il choisit les communes pour y construire un contre-pouvoir local. Cent ans plus tard, quasiment tous les fiefs sont tombés : Differdange en 2002, Bettembourg en 2011, Esch-sur-Alzette et Schifflange en 2017. À chaque fois, ce furent Déi Gréng qui permirent de former des majorités alternatives. En 2023, le LSAP verdit son discours. Il fait débuter son programme-cadre par « environnement et climat », la première de ses cinq « priorités ». Très expéditif (19 pages sans les illustrations), le document se lit comme un tract. Sur de nombreux points, notamment écologiques, il s’avère plus explicite et radical que celui des Verts.
Chez Déi Lénk, on rêve toujours du socialisme municipal. Les communes, veut-on croire, pourraient contribuer à « former des contrepoids écosocialistes dans une société capitaliste ». Mais l’ennemi est puissant : « Une coalition tacite d’intérêts composée de grands propriétaires fonciers, d’usuriers immobiliers, de banques et de multinationales », sans oublier leurs « alliés politiques et administratifs » (qui ne sont pas spécifiés). De la « remunicipalisation » des services privatisés à la multiplication des pop-up stores, les propositions de Déi Lénk restent pourtant plutôt tièdes. L’idéalisme réformiste amène même le parti à se fendre d’un plaidoyer pour l’autonomie communale qui devrait être « défendue et étendue ». Position surprenante, puisque, du logement abordable à l’aménagement du territoire, les communes apparaissent comme des forces conservatrices. Mais Déi Lénk garde espoir. Les communes pourraient « poser des accents politiques décisifs », tant dans la redistribution des richesses que dans la transformation écologique, lit-on dans le programme communal (23 pages). La révolution commencera par un poste au conseil échevinal d’Esch-sur-Alzette...
« Un air propre, une eau claire et des forêts saines ». La phrase n’est pas issue d’une pub pour Evian mais du programme-cadre des Verts (44 pages). Celui-ci fait preuve d’optimisme technocratique. Par une multitude « de lois, d’initiatives et de plans », les ministres verts auraient assuré que le Luxembourg fasse « un saut qualitatif ». La transition est présentée comme un moyen de « préserver notre prospérité » (qui serait « le fruit d’un effort collectif »). On l’aura compris, les Verts se voient comme vertueux. Ils promettent de protéger leurs électeurs contre les polluants et les nuisances sonores, et leur garantir un « déroulement digne » des cérémonies laïques, jusqu’aux inhumations dans les cimetières forestiers.
L’ADR ne fait figurer la « Léift fir eis Natur an Emwëlt » qu’au vingtième chapitre (sur 22). Le programme de 41 pages fait la part belle au tout-sécuritaire et au nationalisme linguistique, sans oublier les animaux domestiques (« Well mir frou si mat den Déieren »). C’est également le seul parti à faire une critique de la « croissance », terme par lequel le parti entend « d’Zouwanderung ». L’ADR mène une guerre des symboles. Celle-ci porte sur d’abord sur une défrancisation de l’espace public. À commencer par les panneaux d’entrée de ville où l’ADR aimerait voir le nom luxembourgeois « am Fettdrock » et le nom français « méi kleng an a Kursivschrëft drënner ». Les publications officielles devraient être en luxembourgeois, « mais peuvent être complétées » par des traductions. Le programme-cadre de l’ADR n’a, lui, pas été traduit.
L’ADR glose longuement sur la promotion « vun eiser Kultur, eisem Patrimoine an eise Traditiounen » qui seraient fondées sur ce que le parti désigne par « valeurs judéo-chrétiennes ». Les « traditionnell chrëschtlech Fester » devraient être « respectées », écrit l’ADR. Et de citer le pèlerinage de l’Octave, le « Klibberen », le Te Deum, Toussaint… Bref, le catholicisme est vidé de son essence et réduit au folklore. Il devient ainsi un dispositif identitaire et exclusif. La violence symbolique atteint son paroxysme à la page 12 : « An de Kantinne gëtt och Fleesch ugebueden an op Schwéngefleesch gëtt net verzicht », y lit-on. (Dans ses questions parlementaires, Fernand Kartheiser se fait un plaisir de célébrer les « Lëtzebuerger Iessgewunnechten », citant de prétendues « wëssenschaftlech Erkentnisser » qui prouveraient « de Wäert vu Schwéngefleesch bei enger gesonder Ernierung ».) L’ADR affiche la couleur lorsqu’il évoque les demandeurs de protection internationale : Surtout pas de système de quotas communaux, il faudrait d’abord demander aux riverains s’ils veulent bien accueillir « les migrants ». Quant aux réfugiés qui ont obtenu le statut, ils ne devraient pas « de Gemengen zur Laascht falen ». C’est ce que l’ADR appelle « eng respektvoll Integratioun ».