Roumanie

La débâcle du coronavirus

d'Lëtzebuerger Land vom 01.05.2020

George est revenu chez lui le moral à zéro. Sa petite maison se trouve à Gura Bustei, banlieue de Vaslui, ville située au nord-est de la Roumanie, région la plus pauvre du pays. C’était le 23 avril, et ce jour-là, à 53 ans, il allait organiser son suicide. Il s’est caché dans une annexe de sa maison et a improvisé sa pendaison. Dans sa poche il avait l’amende qu’il venait de recevoir pour être sorti de chez lui sans le formulaire exigé par les autorités. Le montant de 450 euros dépassait son salaire et il avait décidé qu’il ne pouvait plus continuer. Mais la vie en a décidé autrement : son frère était venu le voir juste au moment de sa pendaison et avait réussi à le maintenir en vie jusqu’à l’arrivée de l’ambulance. « Cet homme avait récidivé, a déclaré Loredana Stavar, porte-parole de la police locale de Vaslui. Il était déjà sorti sans avoir sur lui les papiers exigés par la loi, il avait été averti par les policiers, mais avait continué à sortir sans papiers. »

George a raté son suicide mais il a réussi à émouvoir un pays entier. Son histoire a fait la « une » de la presse et tiré la sonnette d’alarme dans un pays où l’état d’urgence imposé à la mi-mars ne sera pas levé avant la mi-mai. En un mois 200 000 amendes ont été infligées aux personnes qui n’ont pas respecté les consignes du confinement. Le montant varie de 450 à 4 500 euros, un pactole dans un pays où le salaire moyen est de 650 euros. De la mi-mars à la mi-avril, le montant des amendes s’élève à 78 millions d’euros. Et le rythme s’accélère. Le 26 avril, la police a verbalisé 5 410 personnes pour un montant de 2,3 millions d’euros.

Les Roumains sont en colère et les médecins se révoltent eux aussi contre la précarité du système sanitaire. De plus en plus de médecins démissionnent et accusent les autorités de ne pas leur avoir assuré l’approvisionnement en masques et en matériel de protection. « On nous a envoyé à la mort, a déclaré un médecin qui cache son identité à l’hôpital de Suceava, ville située au nord-est du pays et l’épicentre de l’épidémie du Covid-19 en Roumanie. Pas de gants, pas de masques, pénurie de désinfectants et de combinaisons, rien, nada, que dalle. Comment traiter les malades ? Nous sommes des médecins, pas des magiciens. »

Confirmée officiellement le 26 février, l’épidémie du coronavirus met en difficulté un système médical sous-financé qui accuse un manque dramatique d’équipements de protection. Comme si un malheur ne suffisait pas, de plus en plus de médecins démissionnent. Ils accusent les autorités de les exposer à une contamination certaine en l’absence de protection. « C’est facile de nous critiquer, déclare le docteur Camelia Roiu qui exerce à l’hôpital pour malades brûlés de Bucarest. Nous demander de lutter contre le virus sans nous assurer la moindre protection est criminel. » Une opinion qui ne fait pas l’unanimité dans le milieu hospitalier. « Tous les cadres médicaux ont l’obligation de sauver leurs patients, a déclaré l’anesthésiste Radu Tincu qui exerce à l’hôpital des urgences Floreasca de Bucarest. On ne doit pas démissionner quand le pays fait face à une telle épidémie. Il n’est pas moral d’abandonner les patients au moment où ils ont le plus besoin de nous. »

En état d’urgence depuis la mi-mars, la Roumanie fait l’objet d’un couvre-feu assuré par la police et l’armée. La démission en masse des médecins et des infirmières s’ajoute aux problèmes financiers que le gouvernement dirigé par le libéral Ludovic Orban tente de résoudre dans l’urgence. Depuis la mi-mars, plus d’un million d’employés du privé se sont inscrits au chômage. Sur les 1 251 000 personnes employées par l’État, 400 000 travaillent dans le système médical, mais leur nombre diminue de jour en jour. « Nous avons deux options, a déclaré Ludovic Orban. On peut interdire aux médecins qui démissionnent de pratiquer la médecine en Roumanie, ou leur donner un préavis avec un temps de réflexion. La décision extrême est plus facile à mettre en place, mais nous avons besoin de chaque médecin et de chaque infirmière. Le gouvernement continuera à fournir les hôpitaux en matériels de protection, mais je demande aux médecins de respecter le serment d’Hippocrate. »

Malgré une hausse des salaires de cinquante pour cent décrétée en 2018, des milliers de médecins ont quitté la Roumanie pour des postes mieux rémunérés en Europe de l’Ouest. La France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne en ont été les principaux bénéficiaires. Ils avaient rejoint les quatre millions de Roumains, soit un cinquième de la population, qui ont préféré les marchés du travail occidentaux. Selon le ministère de la Santé, 25 000 médecins et infirmières ont quitté la Roumanie ces dix dernières années. Le président Klaus Iohannis est sorti de sa réserve habituelle pour tenter de trouver une solution. « Nos cadres médicaux sont la première ligne du front dans cette guerre contre l’épidémie, a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse. Je sais qu’ils travaillent sous un stress énorme et qu’ils ont besoin de plus que de mots d’encouragement. J’ai demandé au gouvernement de trouver une solution pour offrir une prime mensuelle de 500 euros à tous les médecins qui font face à cette épidémie. »

Une prime peut-elle motiver les médecins à continuer cette course contre la montre dans le combat contre le Covid-19 ? La bataille n’est pas gagnée d’avance et les Roumains se moquent de la politique. La dernière blague en vogue à Bucarest : la Roumanie est le seul pays européen qui n’a pas de problème de financement car les médecins sont payés avec les amendes des policiers.

Mirel Bran
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