On connaît l’histoire, mais bégaiera-t-elle dimanche ? Nous avons appris à l’école que lors de la fameuse nuit du 4 août 1789 les députés révolutionnaires, noblesse et clergé inclus, votaient, dans un état de transe collective et de surenchère solidaire, l’abolition de leurs privilèges. Les Cassandre partisans du non au droit de vote des étrangers, pardons des résidents non-luxembourgeois, nous exhortent de ne pas imiter leur exemple dimanche prochain. Ils oublient volontiers que les Conventionnels étaient moins animés par une générosité utopiste que par un réflexe de survie devant la menace révolutionnaire de la populace. Le Luxembourgeois de souche se trouve aujourd’hui dans la même situation : refuser de partager le privilège du vote législatif avec les résidents étrangers mènera tôt ou tard, Sire, non pas à une révolte, mais à une révolution. Dans cette logique, seule Déi Lénk, paradoxalement, aurait intérêt à prôner le non à la deuxième question.
Les mêmes révolutionnaires votèrent aussi, lors de cette même nuit, l’abolition des banalités. Étrange coïncidence encore, car au Luxembourg aussi il sera question de banalités, comme par exemple la réduction des mandats ministériels à dix ans. Encore que. À y regarder de près, la question est en effet moins banale que populiste et démagogue. Certains zélateurs de la monarchie n’arrêtent pas de nous bassiner avec l’argument qu’il faut au moins un grand-duc pour faire le VRP de notre économie à l’étranger. Gageons qu’un ministre jeunot et inconnu de ses pairs de l’Union européenne aura à peu près le même poids politique que le nombre de ses administrés ou qu’un hypothétique président d’une (malheureusement) non moins hypothétique République du Luxembourg.
Quant à la première question, vous permettrez à votre serviteur d’être un farouche partisan du non. Il pense en effet que la responsabilité citoyenne ne devrait pas être dissociée de la majorité civile. Sinon, les jeunes inconscients qui auraient voté CSV ou, pire, ADR, ne pourraient même pas être condamnés à aller se refaire une raison en prison. Plus sérieusement, cela relativiserait le droit de vote, tout comme la pratique même du référendum dilue le vote législatif. Car en fin de compte, les élections c’est un peu comme les impôts : trop de démocratie directe tue la démocratie représentative. Ou, pour le dire avec les chimistes : rien ne se crée, rien ne se perd. La démocratie, en effet, c’est une question de vases communicants : donner du poids au référendum, c’est en retirer autant aux autres votes. Les électeurs, comme les syndicats, devraient se méfier de ce véritable outsourcing. Que les députés fassent leur travail pour lequel ils sont élus, payés et responsables ! Et qu’on ne vient pas me dire que ça fait belle lurette que les politiques sont coupés des réalités. L’électeur est en effet au député ce que le juré est au juriste : il est censé incarner le bon sens. Or, comme avait coutume de le dire mon ancien prof de physique : le bon sens populaire n’est rien d’autre que la somme des erreurs accumulées pendant des siècles. Avec du bon sens, convenez-en, Einstein n’aurait jamais découvert sa théorie de la relativité.
Enfin, peu de gouvernements gagnent des élections ou des référendums à mi-parcours de leur mandat. Car qu’importe le flacon de la question, pourvu qu’on ait l’ivresse de désavouer celui qui la pose. Gageons que si le référendum avait eu lieu durant le bref état de grâce qui suivait les dernières élections, le bon peuple souverain aurait applaudi avec un bel enthousiasme au oui des quatre (!) questions.