De mémoire d’Ornanais on n’avait vu pareille queue devant L’origine du monde. C’est que le Musée Courbet à Ornans, ville natale du peintre, avait organisé cet été une remarquable exposition autour du tableau emblématique du maître.
La peinture de Courbet est à l’image de sa Franche-Comté natale : un paysage vert et Doubs, vallonnée sans être montagneux, souvent gentillet sans jamais être ennuyeux, un pays qui ne prononce pas un mot plus haut que l’autre, des pâturages féconds avec de paisibles vaches qui fournissent comté et cancoillotte, une atmosphère de moyenne montagne où le juste milieu, une seule fois, perd le Nord et devient dramatique : aux abords des sources de la Loue. Gustave y plantait souvent son chevalet et on dit que cette fente montagneuse qui donne naissance aux flots de la rivière aurait inspiré à l’artiste le motif de L’origine du Monde. Tableau métaphorique donc, où le paysage se fait corps et où la femme devient ce continent noir dont parlait Freud. Mais tableau métonymique aussi, où la partie est prise pour le tout, comme l’écrivait à peu près un critique de l’époque : « il a oublié de peindre la tête, négligé de représenter le tronc, omis de reproduire les pieds, refusé de dessiner les bras et les mains… ». Ce tableau est dans l’œuvre de Courbet ce que la source de la Loue est à la Franche-Comté : une rupture dramatique dans un scénario tranquille.
Intitulée Cet obscur objet des désirs, l’exposition explora l’avant et l’après de la représentation du sexe féminin par rapport à L’origine du monde. Avant Courbet : le propos faussement scientifique qui permit à Dürer de figurer le corpus delicti, la pudibonderie des époques classiques qui imposa aux artistes l’alibi du satyre concupiscent reluquant lubriquement le sexe féminin, les planches scientifiques anatomiques, les mises en scène parodiques du XIXe siècle. Après Courbet : le détournement ironique, la libération des mœurs et enfin la pornographie. De l’accrochage, nous retenons particulièrement le Jupiter et Antiope d’Ingres, où Jupiter dévoile Antiope comme les premiers propriétaires de L’Origine dévoileront le tableau devant quelques visiteurs triés sur le volet, le Nu bleu de Bonnard où la femme cache ses seins pour mieux exhiber son sexe, les femmes très phalliques de Gaston Lachaise qui anticipent les ambiguïtés sexuelles de Louise Bourgeois.
Exposition sur le regard autant que sur l’objet représenté, Cet obscur objet des désirs illustra parfaitement la devise de Louise Bourgeois que le regard et son objet ne font qu’un. Elle procure un plaisir nettement plus esthétique qu’érotique, à moins que ce ne soit la même chose. Un plaisir intellectuel aussi, car les tableaux sont (trop) copieusement légendés, avec des textes certes pertinents, mais dont la longueur nuit quelque peu au rythme de la visite. Comme s’il fallait de nos jours encore un alibi intellectuel à l’exposition de L’origine du monde. Il est vrai que côté pudibonderie, notre XXIe siècle retrouve de plus en plus le zèle policé du XIXe : l’exposition était interdite au moins de douze ans ! N’oublions pas, enfin, que le titre de l’œuvre est aussi un clin d’œil à De l’origine des espèces, livre à l’époque aussi sulfureux que le tableau du communard Courbet.