Lionel mangea du Jospain blanc

Le Napoléon de Jospin

d'Lëtzebuerger Land vom 06.03.2015

L’homme qui préfère l’Ile de Ré à l’Ile de Beauté ne peut pas aimer l’enfant chéri d’Ajaccio. L’homme qui s’est fait éliminer le 21 avril 2002 par Jean-Marie Le Pen ne peut pas pardonner à l’empereur corse d’avoir inoculé aux Français le goût du chef providentiel. Voilà au moins deux bonnes raisons plus ou moins conscientes qui ont poussé Lionel Jospin à déboulonner avec lucidité et pertinence la statue du commandeur Bonaparte. À l’invitation de l’Institut Pierre Werner, Monsieur le Premier ministre (en France on perd les élections, mais on garde ses titres) disait donc l’autre jour tout le mal qu’il pensait du petit Corse devant un parterre luxembourgeois en principe cependant favorablement acquis au souvenir du grand homme. Dans l’ancien Département des Forêts on reste en effet reconnaissant à Napoléon d’avoir rendu ses richesses au clergé que la Révolution avait confisquée et d’avoir adopté Stéphanie de Beauharnais, une des ancêtres de la dynastie luxembourgeoise. Le trône et l’autel déjà ! Accessoirement, Nabotléon a fait classer et reconnaître urbi et orbi les vignobles de la Moselle et le Luxembourgeois, on le sait, a le gosier reconnaissant. Au Luxembourg comme en France on a aussi très vite oublié que du haut de la pyramide des âges, inversée par les campagnes napoléoniennes, les grognards morts contemplent les survivants qui se faisaient amicalement tripoter les oreilles par l’empereur.

La mine complice, le verbe éloquent, Lionel mangea du Jospain blanc en rappelant notamment que la légende dorée de Napoléon doit beaucoup aux romantiques qui ont scotomisé (ou applaudi ?) le coup de balai que Napoléon a donné aux idées d’égalité héritées de la Révolution Française en revenant par exemple sur l’abolition de l’esclavage. Joséphine n’était-elle pas fille d’un riche colon de la Martinique ? Le Premier ministre eut le bon goût de ne pas céder à la démagogie de comparer le Premier consul à Hitler, bien que celui-ci dût son ascension, comme Napoléon, à la génération des Romantiques. Et, comme Beethoven, il est donc resté sourd aux sirènes du petit Corse : on se souvient que le génial musicien raya la dédicace qu’il avait aposée sur sa symphonie héroïque quand sous Napoléon commençait à percer Bonaparte…

Lionel Jospin, dans son dernier livre, a démoli la statue du commandeur Napoléon, Vincent Artuso a mis en lumière le « vorauseilender Gehorsam » de la Commission administrative pendant l’occupation nazie, mais à quand une démystification de la légende du grand Européen et accessoirement Luxembourgeois Robert Schuman ? À l’heure où le plus grand hôpital du pays, dixit l’archevêque, s’est donné comme nouveau nom celui du natif du Grund, il est temps peut-être de se rappeler que le père de l’Europe a voté les pleins pouvoirs au maréchal Pétain et qu’il a été frappé d’indignité nationale au lendemain de la guerre. Voudrait-on enjoindre à feu la Zithaklinik de collaborer avec l’ennemi du bien-nommé Kirchberg, on ne s’y prendrait pas autrement. « Couvrez ce saint que je ne saurai voir ! » s’écrierait volontiers votre tartuffe de soussigné qui s’indigne de ce que le Vatican est en train de béatifier le futur saint patron des collabos. Mais ce qui provoque l’ire des uns, suscite l’admiration des calotins et Dieu finira bien par reconnaître les seins qui ont nourri les siens.

Yvan
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