Maux dits d’Ivanhoé

Écosse : la raison a eu raison

d'Lëtzebuerger Land vom 26.09.2014

… et le cœur panse ses bleus après le référendum (pas tellement) perdu par les indépendantistes. François Mauriac s’est retourné dans sa tombe, lui qui aimait tellement certains pays qu’il les préférait multipliés… ou divisés, ce qui, pour une fois, revient au même. En votant non à l’indépendance, les Écossais ont eu la sagesse de se procurer le beurre et l’argent du beurre, le haggis et le porridge (beurk), le whisky et le thé (beurk bis), Londres et Bruxelles (beurk ter), Robert Burns et William Shakespeare, le son des bagpipes et les opéras de Benjamin Britain, etc, etc.

Et pourtant, Yvan qui n’aime guère les nationalistes, ne peut s’empêcher de concevoir tendresse et admiration pour ces nationalistes écossais, comme lui lointains descendants d’Ivanhoé, qui pourraient servir de contrepoids et de modèle aux nationalistes plus ou moins fachos, « ces imbéciles heureux qui sont nés quelque part » en Corse, Bretagne, Catalogne ou Luxembourg et qui ont encore plus la haine de l’étranger que l’amour de leur pays. Ceux-là veulent ériger leur dialecte en langue, car ils ont compris depuis longtemps que la langue n’est qu’un dialecte qui a réussi (?) son indépendance.

Leurs cousins écossais ne sont pas nés quelque part, ils sont devenus quelqu’un. « On ne naît pas Écossais, on le devient, » proclame-t-on à Glasgow et dans les Highlands, ce qui est évidemment aux antipodes du repli identitaire classique qui privilégie le droit du sang au droit du sol. Tous les habitants de l’Écosse, rien que les habitants de l’Écosse étaient conviés au référendum. Les étrangers habitant l’Écosse avaient le droit de vote, alors que les Écossais expatriés en étaient exclus. Quelle belle et généreuse leçon du vivre ensemble !

Avez-vous remarqué par ailleurs que les nationalismes classiques prennent souvent racine dans un régionalisme bon enfant, un tantinet folklorique, généralement de « gauche », pour virer ensuite dangereusement à droite, voire pire ? À l’inverse, le Scottish National Party est né dans un climat de repli droitier, voir facho, qui s’opposa en son temps à l’entrée en guerre des Britanniques contre l’Allemagne nazie. Il a, depuis, fait son aggiornamento, et professe des idées généreuses de fraternité et de solidarité, s’opposant à l’austérité des Thatcher, Blair et autres Cameron. Et, qui plus est, il est europhile, ayant compris que les nations modernes sont à la fois régionales et supranationales. Il ne veut même pas parler le gaélique ou le picte, pensant que la langue est là pour manger et pour réunir et non pas pour exclure. Gageons que, quand nous entendrons le timbre des cornemuses dans les concerts des orchestres symphoniques européens, le cœur aura enfin retrouvé ses raisons que la raison partage.

Ivanhoé
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