Après trois films dont les histoires évoluaient dans le passé, Jane Campion revient à un sujet contemporain avec Holy Smoke ! (1999), qui interroge la quête d’absolu qui anime si souvent la jeunesse des pays néocapitalistes. Écrit par la cinéaste et sa sœur, Anna Campion, le scénario s’inspire du récit autobiographique de Christopher Isherwood (1904-1986), My Guru and his Disciple (1980), dans lequel l’écrivain britannique évoque la relation spirituelle qu’il a établi avec Swami Prabhavananda, qui dirigeait à Hollywood un centre consacré à l’étude et à la pratique de la philosophie hindoue. Un cheminement qui conduira le romancier jusqu’en Inde, où il songe alors à épouser la carrière de moine. Avant de finalement y renoncer, celui-ci ne parvenant pas à se défaire des plaisirs qu’offre la sexualité.
À la différence du livre d’Isherwood, le long-métrage de Campion débute d’emblée par le voyage initiatique de Ruth Barron (Kate Winslet), une jeune femme qui, comme tant d’Australiennes de sa génération, entreprend son « backpacking cheap to India », à la découverte d’une culture nouvelle. Sur place, Ruth intègre l’ashram du gourou Baba, dont elle est vite sous l’emprise. L’affinité de Campion pour ce sujet s’explique aisément. Celle-ci a tout d’abord suivi une formation en anthropologie à la Victoria University de Wellington, où elle s’est notamment passionnée pour les travaux de Claude Levi-Strauss et de Marcel Mauss. La cinéaste s’est également rendue en Inde à plusieurs reprises. On sait également que certains de ses amis sont devenus des disciples de Raj Neesh, dont l’ashram était alors célèbre aux États-Unis. Jusqu’au jour où celui-ci a fermé ses portes suite à des accusations de meurtres et à des problèmes de corruption...
Pareilles péripéties permettent de comprendre pourquoi la cinéaste n’a en rien idéalisé la quête menée par sa protagoniste. Bien au contraire, c’est cette voie spirituelle, faite de contradictions, de doutes et parfois même de désillusions, qu’elle souhaite scruter : « Ce qui m’intéressait, déclare-t-elle à Michel Ciment, c’était comment on construit ses croyances, comment elles changent, et aussi la manière dont les gens font un ‘saut’ quand ils tombent amoureux ou embrassent une religion. Il y a aussi cette idée – communément partagée – que les valeurs de notre société sont les seules qui comptent, alors qu’en fait tout est relatif. »
Sujet à un ethnocentrisme très occidental, la famille de Ruth, qui croit leur fille en danger parce que celle-ci a adopté des mœurs différentes, la fait rapatrier d’urgence en Australie. Avant de la confier – lumineuse idée, ou plutôt idée d’illuminés ! – aux mains de PJ Waters, un « désensorceleur » machiste interprété par Harvey Keitel. Isolés dans une ferme située à Halfway Hut, le berceau spirituel de l’Australie, PJ et Ruth vont lutter pendant trois jours l’un contre l’autre, y compris sur le plan sexuel. Lors d’une dernière soirée ayant valeur d’exutoire, Ruth se révèle contre toute attente l’ange exterminateur de PJ. Une fête au cours de laquelle s’exerce un improbable renversement du masculin et du féminin, comme l’affectionne tant Jane Campion depuis La Leçon de piano (1993), avant que tous deux s’ouvrent à un amour parfaitement épistolaire. Ce récit au déroulement continuellement bizarre, dans la lignée de l’imprévisible Sweetie (1989), nous amène à nous demander si les deux frangines Campion n’auraient pas fumé un peu trop d’Indica.