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Less is more

d'Lëtzebuerger Land vom 13.05.2022

Avant que sa carrière ne prenne définitivement une tournure internationale, Jane Campion commence par réaliser quelques courts-métrages au début des années 1980 en tant qu’étudiante de l’Australian Film Television and Radio School (AFTRS). Trois d’entre eux seront projetés mardi à la Cinémathèque de Luxembourg, dans le cadre de la rétrospective dont fait l’objet la cinéaste néo-zélandaise : Peel – An exercice in Discipline (1982), Passionless Moments (1983) et A Girl’s Own Story (1984). Un excellent programme auquel s’ajoutera, en bonus, After Hours (1985), seul film à échapper au carcan studieux de l’AFTRS.

Ces minis chefs-d’œuvre pleins d’audace formelle et narrative auraient pu sommeiller longtemps dans les tiroirs de l’institution australienne s’il n’y avait eu la présence curieuse et passionnée d’un certain Pierre Rissient (1936-2018), l’un des conseillers artistiques les plus influents du Festival de Cannes. Tout à la fois producteur, scénariste et critique (on lui doit notamment la première monographie sur Joseph Losey en 1966), ce représentant de la culture cinéphilique à la française fut même l’assistant de Godard sur À bout de souffle (1960). À sa disparition, l’ami Clint lui rendit hommage dans le générique de fin de La Mule (2019). C’est en tout cas grâce à cet érudit que Jane Campion put faire la carrière que l’on sait, celui-ci ayant sélectionné ses films courts au retour d’un voyage à Sydney. En cette année 1986, Campion rivalise à Cannes avec Nicole Garcia (15 août) pour le meilleur court-métrage du Festival. À ce petit jeu, Campion gagne (Peel – An exercice in Discipline, consacré meilleur court-métrage), et gagnera encore huit ans plus tard, dans la cour des grands cette fois-ci (Palme d’or pour The Piano, 1993). Une distinction qui encourage Campion à reprendre la caméra et à se lancer dans un long-métrage pour la télévision (l’excellent Two Friends,1986).

Avec une camarade de promo, Sally Bongers, devenue sa chef-opératrice, Jane Campion fait preuve d’une grande virtuosité. Unique film en couleurs du lot, Peel – An exercice in Discipline trahit d’emblée un style enlevé, au montage imprévisible et aux cadrages inédits sous lesquels affleure une initiation adolescente à la sexualité. L’orange pelée dans laquelle le jeune Ben introduit son doigt est ce détail autour duquel se structure l’ensemble du film. L’agrume est un microcosme (« La terre est bleue comme une orange », contait Paul Éluard) qui ricoche en tous sens, à commencer par ces têtes d’oranges qu’arborent Ben et son père, à l’exubérante chevelure rouquine. Une histoire de pelures autant que de peau, donc. Plus loin, le fruit est un projectile éclatant à la face du père lorsque celui-ci somme son fils de récupérer le long de la route les épluchures que le gamin aura balancées par la fenêtre de la voiture... Un exercice de discipline (comme le dit le titre) auquel la cinéaste se prête ici avec brio, mais non sans quelque ironie à l’égard de la commande académique.

Écrit par Gerard Lee, son compagnon de l’époque, Passionless Moments est lui aussi un film d’une grande modernité, à la narration fulgurante de liberté, constitué seulement d’une série de fragments issus de la vie quotidienne pour composer, au final, une fable déployant une morale toute cinématographique : « Il y a un million de moments dans votre voisinage mais, comme les cinéastes l’ont découvert, chacun a une présence fragile qui s’efface presque au moment où il se forme. » Un éloge du passage, de l’éphémère, que n’auraient pas démenti Baudelaire, ni même Guy Debord (qui devait signer un court-métrage avec un titre à rallonge : Sur le passage de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps, 1959). Plus sombre par certains aspects (dont d’inavouables tabous sexuels), et rivé comme Peel à des présences adolescentes, A Girl’s Own Story plonge dans les affres de la famille, l’un des thèmes inspirés de sa propre expérience que ne cessera de déployer Campion dans ses longs-métrages. Une façon de conjurer, pour elle, des souvenirs douloureux. Quant à After Hours, fabriqué dans le cadre de la Women’s Film Unit, nous n’en dirons rien avant l’heure afin de maintenir l’effet de surprise attendu.

Jane Campion Shorts (Australie, 1984), vo anglaise, 75’, est présenté mardi 17 mai à 18h30
à la Cinémathèque de la Ville de Luxembourg

Loïc Millot
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