Cela commence avec une voix off en italien sur des (très belles) images de fleurs. Des bouquets photographiés au Polaroid avec ce grain particulier qui donne une impression d’éternité parce qu’il n’est ni ancien, ni récent. Des fleurs perdues (I Fiori Persi) car elles ne sont plus destinées à personne. Cette voix off est celle de Fabrizio Maltese qui raconte ce voyage vers son Italie natale pour se rendre chez ses parents au début de la pandémie. Un retour à Viterbo qu’il a quitté il y a plus de vingt ans. Son père Maurizio a fait une crise cardiaque. Le pays est verrouillé, à l’isolement le plus strict. Il sait déjà que les moments seront difficiles. Mais, c’est finalement à la perte de sa mère qu’il va devoir faire face. Un deuil qu’il va vivre avec son père, en égrainant des souvenirs et en collectant des petits riens qui ont fait une vie.
Fabrizio Maltese a plusieurs fois filmé le désert. Au Maroc (dans 50 Days in the Desert sur le tournage de Chevalier blancs de Joachim Lafosse), en Californie (avec California Dreaming sur une ville presque fantôme, à deux heures de Los Angeles), en Mauritanie (pour L’Invitation, un voyage épique et intime avec Abderrahmane Sissako, le réalisateur de Timbuktu). Il est ici confronté à une autre forme de désert, celui de l’absence. L’absence de sa maman, bien sûr, mais aussi l’absence de bruits et de mouvements dans une ville confinée où le chant des oiseaux paraît incongru et la pétarade lointaine d’une mobylette devient suspecte. Une ville vidée de ses habitants. Comme l’était California City où le rêve américain s’envolait en même temps que ses occupants la quittait.
Confinement oblige, tout est filmé à l’intérieur de la maison familiale, où l’accumulation de souvenirs, d’objets chargés émotionnellement, de livres témoignent d’un temps qui s’est arrêté subitement. Fabrizio Maltese regarde son père avec une infinie tendresse, une grande délicatesse, dans des gestes du quotidien qui émeuvent par leur banalité : quand il déchiffre un dernier message crayonné sur un post-it, qu’il cherche les bons mots pour le faire-part ou qu’il joue quelques notes au piano. De l’aveu du réalisateur, les images tournées n’étaient pas destinées à devenir un film et à être montrées au public. Il voulait surtout garder des images de son père, s’étant rendu compte qu’il était trop tard pour filmer sa mère. Stephan Roelants, avec qui il travaillait sur L’Invitation, le convainc que la matière est trop belle pour ne pas être montrée. Que l’histoire est trop universelle pour ne pas être partagée. On lui en sait gré.
La tragédie personnelle placée dans le contexte d’une tragédie collective, celle des morts du Covid, prend toute sa force quand, alors qu’il voulait rester à l’écart de l’image, Fabrizio Maltese passe devant la caméra pour se rapprocher de son père et lui tendre un mouchoir. En un plan, la distance est rompue, la chair de poule nous gagne. « J’espère qu’on pourra s’embrasser à un moment donné », lui dit Maurizio. Quand on est photographe et réalisateur, c’est avec l’image qu’on dit sa souffrance et c’est avec l’image qu’on la répare.