Dans son acception contemporaine, le cynisme n’a plus grand-chose à voir avec les philosophes qui, dans la Grèce antique, prônaient autour de Diogène la désinvolture, l’humilité et l’anticonformisme. Il est mieux défini par cette phrase d’Oscar Wilde selon lequel le cynisme « consiste à voir les choses telles qu’elles sont et non telles qu’elles devraient être ». Être cynique aujourd’hui, c’est « une attitude ou un état d’esprit caractérisé par une faible confiance dans les motifs ou les justifications apparentes d’autrui, ou un manque de foi ou d’espoir dans l’humanité », nous explique Wikipédia. Alors que cette attitude a pu s’avérer utile pour démystifier les discours bien-pensants qui cherchent à justifier les institutions et autres structures de pouvoir, et ce d’autant plus qu’elles sont injustes et oppressives, elle s’avère aujourd’hui largement inefficace, mais surtout parfaitement contre-productive.
Le cynique d’aujourd’hui se complaît dans un scepticisme généralisé, quand ce n’est pas un nihilisme blasé. Lorsqu’il s’applique à analyser des faits sociétaux, il en conclut qu’ils sont inévitables parce qu’imposés par des rapports de force auxquels on ne peut rien ou par une « nature humaine » réputée immuable, quand il ne verse pas dans le complotisme pur et simple (le cynisme est parfaitement soluble dans les délires conspirationnistes de tout poil). Ainsi, le cynique du XXIe siècle interprète le monde avec superbe, parfois avec brio, mais renonce par avance à préconiser le moindre changement.
Alors que l’humanité est confrontée à des défis complexes qui exigent des réponses immédiates et des transformations en profondeur, la réponse prévisible du cynique est qu’il n’y a rien à faire. Changement climatique : la liste des raisons pour lesquelles il est selon lui inutile de tenter quoi que ce soit est longue comme le bras, des centrales au charbon construits par la Chine à l’avidité inscrite dans l’ADN de l’homo sapiens en passant par le caractère inéluctable de la combustion de toutes les réserves fossiles. Face au coronavirus, le cynique recommande de ne pas prendre de mesures de santé publique puisque, de toute façon, « tout cela est manigancé pour profiter aux multinationales pharmaceutiques ». Rien ne sert non plus de vouloir aider les Ukrainiens lorsqu’ils sont envahis par l’armée russe puisqu’ils ne pourront qu’être vaincus et subjugués par celui qui, au Kremlin, fait figure de champion planétaire toutes catégories de ce même cynisme.
Ainsi, le cynisme est devenu aujourd’hui le meilleur allié du statu quo. Or, celui-ci condamne, de facto, l’espèce humaine à la disparition. Il convient de ne plus lui conférer la moindre aura. Il s’agit au contraire d’embrasser précisément les attitudes et émotions que dédaignent les cyniques : l’indignation face aux injustices et la confiance en la capacité des humains à définir eux-mêmes la façon dont est organisée la société. Le cynique méprise l’enthousiasme et la soif de changement, alors que c’est, plus que jamais, de changement que nous avons besoin.