Un nouveau rapport du GIEC, un nouvel avertissement solennel que le monde est en route pour une hausse de la température moyenne de 3,2 degrés d’ici la fin du siècle, et une fois de plus l’humanité reste imperturbablement engagée sur les rails menant à son auto‑annihilation. Sauf que cette fois, de nombreux scientifiques ayant contribué à ces prévisions alarmantes ont choisi de mettre les pieds dans le plat. Dans 26 pays, quelque 1 200 d’entre eux, portant une blouse blanche ornée d’un sablier, le logo d’Extinction Rebellion, ont mené des actions d’éclat la semaine dernière, souvent au risque de se faire arrêter, dans l’espoir d’enfin attirer l’attention d’une masse critique de citoyens sur les risques inhérents à une poursuite de l’utilisation des énergies fossiles.
L’un des animateurs de cette révolte de scientifiques (scientistrebellion.com) est Peter Kalmus, membre du Jet Propulsion Laboratory de la NASA. « Je suis un climatologue et un père désespéré. Comment puis-je plaider ma cause avec davantage de force ? Que doit-il arriver ? Qu’est-ce que mes collègues et moi-même pouvons faire pour stopper cette catastrophe qui se déroule maintenant sous nos yeux d’une manière aussi atrocement claire ? », s’est-il écrié dans une tribune publiée par le Guardian. Lorsqu’il s’est enchaîné avec trois collègues aux portes de la JP Morgan Chase à Los Angeles le 6 avril, une centaine de policiers anti-émeute harnachés de pied en cap ont convergé vers eux et les ont arrêtés. Les larmes aux yeux, il a réclamé la justice pour ses enfants et les enfants du monde entier qui vont hériter du désastre climatique que leurs géniteurs leur ont concocté.
À Washington, la scientifique Rose Abramoff, spécialiste du stockage de carbone en forêt, s’est enchaînée aux grilles de la Maison Blanche. « En tant que scientifiques, nous avons tendance à être réticents à prendre des risques. Nous ne voulons pas risquer nos emplois, nos réputations et notre temps. Mais il n’est plus suffisant de faire nos recherches et de nous attendre à ce que d’autres lisent nos publications et comprennent la gravité et l’urgence de la crise climatique », a-t-elle expliqué dans un communiqué de presse. Arrêtée avec d’autres blouses blanches, elle a qualifié la réaction des autorités de tentative de bâillonnement.
La hiérarchie, le mode de financement et les codes de l’univers de la recherche ont longtemps convaincu ceux qui travaillent sur le climat terrestre de laisser à d’autres le soin de faire connaître leurs résultats et les conclusions qui en découlent sur l’urgence de la décarbonation. Si certains se sont mis à leurs claviers pour bloguer et tweeter, la plupart ont choisi, ces dernières décennies, au nom de leur crédibilité et de la supposée nécessité de faire preuve de neutralité politique, de ne pas adopter les méthodes des activistes. Que cette digue ait maintenant sauté en dit long sur le découragement qui habite ceux situés aux premières loges de cette crise.