A l’opposé de Shell, BP et Exxon qui ont annoncé se retirer du marché russe, leur concurrent français Total s’est fait remarquer ces dernières semaines par son obstination à continuer ses activités dans ce pays. L’impact négatif en termes d’image d’une poursuite des opérations étant sans doute comparable pour chacune de ces majors, les compagnies anglo-saxonnes auront sans doute cédé aux injonctions pressantes des dirigeants américains et britanniques, tandis que le gouvernement français a clairement laissé la bride sur le cou à son champion. Le groupe coté au CAC40, qui a annoncé l’an dernier vouloir se « réinventer » en se rebaptisant TotalEnergies et miser désormais sur les énergies renouvelables, confirme à l’occasion de la guerre en Ukraine qu’il reste un pollueur indécrottable.
S’agit-il juste pour Total de préserver à tout prix ses investissements en Russie, fruits de décennies d’efforts, et d’ainsi protéger ses actionnaires ? Un projet dans l’est de l’Afrique fait voler en éclat cette ligne de défense. Pendant que les yeux sont tournés vers Marioupol et Boutcha, Total et son partenaire chinois CNOOC continuent d’œuvrer à la réalisation d’un oléoduc, l’EACOP (East African Crude Oil Pipeline), un tuyau chauffé de 1 445 km de long reliant les champs pétrolifères de l’Ouganda à un port tanzanien pour un coût de cinq milliards de dollars. Sa construction devait initialement commencer en 2016, ses promoteurs visent désormais 2025 pour sa mise en service. Ce seraient alors jusqu’à 216 000 barils de brut qui le traverseraient chaque jour.
Grâce à la mobilisation internationale initiée par Greta Thunberg, de jeunes activistes climatiques africains ont réussi ces dernières années à se mettre en réseau avec des militants dans les pays industrialisés. Participant avec l’initiative StopEACOP à des manifestations contre l’oléoduc à Berlin et Paris, Hilda Flavia Nakabuye, fondatrice de Fridays for Future Ouganda, a ainsi pu témoigner que ce projet est loin de faire l’unanimité dans son pays.
Dans une récente tribune parue dans Le Monde exigeant l’abandon du projet, Matthieu Orphelin et dix-sept autres députés français ont dénoncé la menace directe de contamination que représente à leurs yeux EACOP pour les lacs Victoria et Albert, source d’eau potable et de nourriture pour quarante millions de personnes. L’oléoduc, cette « véritable bombe climatique », serait responsable à terme d’émissions totalisant 34 millions de tonnes équivalent CO2 par an, soit six fois les émissions de CO2 de l’Ouganda, ont-ils souligné.
Non content d’ignorer le massacre de civils ukrainiens par l’armée russe en s’incrustant en Fédération de Russie, Total continue de défendre en Afrique un projet non seulement complètement anachronique au regard de l’urgence climatique, mais aussi révoltant parce qu’il traverserait des réserves naturelles parmi les plus riches au monde, où abondent (encore) éléphants, lions et chimpanzés, et enfermerait une région du monde encore relativement préservée de l’exploitation pétrolière dans une logique de dépendance à l’égard des hydrocarbures.