« C’est de la folie. L’addiction aux énergies fossiles, c’est la destruction mutuelle assurée », s’est emporté cette semaine le secrétaire général des Nations Unis António Guterres. On avait pu pouvoir ranger au fond de l’armoire les doctrines relatives à la destruction mutuellement assurée (ou MAD, selon le fol acronyme anglais) qui ont hanté les insomnies de la guerre froide. Vladimir Poutine peut s’enorgueillir de les en avoir sortis, en usant et en abusant avec tout le cynisme dont il est capable pour avancer ses pions en Géorgie, en Tchétchénie et en Syrie, puis ces jours-ci en Ukraine.
Alors que les habitants de Marioupol sont martyrisés par l’armée russe, il y a lieu de se souvenir que les termes de l’équation qui ont empêché les États-Unis et l’Union soviétique de s’annihiler mutuellement à coup d’explosions nucléaires, et avec eux le reste du monde, ont fondamentalement changé : au risque de dévastation planétaire que garantit un conflit ouvert entre les deux États les plus armés s’est ajoutée la certitude d’une destruction collective assurée en cas de poursuite de notre consommation effrénée d’hydrocarbures. Autant dire que la doxa géopolitique déclinée aujourd’hui par la plupart des stratèges patentés évoque une situation qui n’existe plus vraiment : la guerre en cours au nord de la Mer Noire, conjuguée au refus persistant de nos sociétés de prendre en compte l’acuité de la crise climatique, nous contraint à concevoir et à déployer dans l’urgence une organisation sécuritaire mondiale entièrement redessinée.
Le spectre des attitudes adoptées face à l’équilibre de la terreur, qui pendant longtemps allait du pacifisme aveugle au jusqu’au-boutisme belliciste, s’est enrichi après le démantèlement de l’URSS, côté occidental, d’un pragmatisme mercantiliste qui est rapidement devenu dominant et dont on mesure aujourd’hui l’inanité. Penser une architecture de sécurité faisant intervenir à la fois le risque nucléaire et la certitude d’une apocalypse climatique suppose de neutraliser tant le chantage à la canonnière que celui à la pompe : une voie assurément étroite. Mais lorsqu’un dirigeant pour qui les revenus de ses gisements pétroliers et gaziers sont essentiels à la pérennité de son règne autoritaire met le pistolet atomique sur la tempe de ses clients, il devrait être évident pour ceux-ci qu’ils ne peuvent ni céder à l’intimidation ni continuer à financer ses exactions.
La notion qu’il faut un changement de paradigme pour préserver la vie sur terre a été déclinée sur tous les tons, au point qu’elle est sans doute usée jusqu’à la corde. La guerre en Ukraine nous démontre qu’elle reste pourtant éminemment pertinente. Fuir la confrontation en invoquant le risque d’embrasement intercontinental, c’est peut-être écarter ce risque à court terme, mais c’est aussi se condamner à un avenir où les énergies fossiles continuent de régner en maître et nous mènent tout droit à la désolation mortifère décrite dans les derniers rapports du GIEC.