L’espace est sans doute le plus difficile et le plus excitant. Ceux qui ont fréquenté assidûment le Mudam, au long de plus de quinze ans maintenant, ont pu se rendre compte de toutes les possibilités offertes par le hall d’entrée, de toutes les réalisations, plus ou moins réussies. Actuellement, le visiteur est accueilli par un portail gonflable qui lui souhaite la bienvenue, un peu tristounet, perdu sous pareille hauteur de lumière. Et pourtant, bien que rattaché à l’exposition antérieure, il marque bien l’entrée des nouvelles manifestations. Il pourrait en effet appartenir au projet mentionné dans un texte de la directrice, renvoyant à Pontus Hultèn qui, dès 1968, invitait à transformer le Moderna Museet de Stockholm en aire géante de jeux.
On n’en est pas encore là avec l’exposition de Rayyane Tabet, on s’en approche quand même avec les collectifs dans les salles du premier étage, non, la curatrice parle de « musée métabolique », et ce n’est pas seulement parce que la galerie est transformée en laboratoire culinaire. Plus largement, avec les six collectifs invités qui vont aller de la danse à l’édition, l’accent est mis à toutes sortes de transformations, de processus de travail ou de création.
Mais procédons par ordre. À la limite, avec Rayyane Tabet. Trilogy, on ne s’éloigne guère des installations habituelles : le couloir de rideaux translucides conduisant au pavillon, le mobilier d’une chambre du sanatorium d’Alvar Aalto, l’étalage enfin des carafes réalisées à partir de verre recyclé après l’explosion du port de Beyrouth en 2020. Le mobilier scandinave interroge sur son acquisition par le Mudam en 2000 seulement, il date des années 1930. Le musée se dit moderne, alors que les œuvres de la collection en grande majorité ne remontent qu’aux dix dernières années du siècle passé. Cette pièce est donc tout à part. Les deux autres salles renvoient à la commissaire, à l’appartement de ses grands-parents, à ses origines libanaises. Relient ainsi, si l’on veut, création et lieu d’exposition aux faits du monde, comme le suggère le dépliant, du fort Thüngen au mur de Berlin ou telle guerre de juin 1967 (et les fenêtres peintes en bleu contre les avions).
Bien sûr, il est banal d’en conclure que ni l’art ni le musée n’échappent à ce qui se passe autour. Avec les changements que cela comporte. Ceci dit, il se peut que nous soyons à un moment où l’institution, née en gros au temps du fort Thüngen, au 18e siècle, est près de changer radicalement de paramètres. Recherche, collecte, conservation, interprétation et exposition, telles sont les fonctions énumérées par l’International Council of Museums. Il n’oublie pas le public, et en bout de définition mentionne l’éducation, la réflexion, le partage de connaissances, voire le divertissement. Aujourd’hui, on est porté plus vers l’immersion où les œuvres submergent le public, il s’y noie, au lieu de le pousser à une activité propre.
Retour à Kassel, en 2007, ça fait longtemps déjà. Roger M. Buergel avait invité Ferran Adrià, le chef du restaurant espagnol El Bulli, principal tenant de la cuisine moléculaire à l’époque. Peu à peu, l’art (et à sa suite ses manifestations) a disséminé, s’est ouvert à toutes choses, dispersion pouvant aller aux yeux de certains jusqu’à sa disparition (ah, toujours le même préfixe). C’est que tels terrains étaient abandonnés, délaissés, et là où la société s’avère et s’avoue sans repère, il lui arrive de faire appel à l’art, pris comme bouée de secours, ultime recours. Cette semaine encore, une tribune dans le journal Le Monde a appelé les musées à jouer pleinement leur rôle dans le débat écologique. Non seulement quant aux questions techniques. La déception, la faillite (du moins ressentie du côté du politique), autant de raisons.
Toujours la Documenta 12. Elle se voulait décidément autre. Et Buergel, dans un esprit de conséquence, avait demandé aux architectes Lacaton et Vassal de livrer de nouveaux espaces d’exposition : une installation temporaire, surface de 12 000 mètres carrés, réalisée par une structure de serres horticoles par modules de 20 mètres par 9,60 m. Au coût d’un million d’euros hors taxes. Ce rappel juste pour faire réfléchir aussi à ce que la rupture du contenu entraîne pour le contenant, et pour la question du bâtiment le Mudam servira très bien d’exemple : construction de Pei dans une expression toute moderne, de la modernité des années 1950, 1960 en gros, et le musée, on le sait, porte cette étiquette, alors que sa collection est orientée vers l’art contemporain, et voici que son architecture faire de rigueur solennelle est prête à s’ouvrir à tout autre chose encore, « espace dynamique dédié aux séances de recherches, à la préparation et aux répétitions rendues accessibles au public ».