Il y a tout juste vingt ans émergeait un lieu singulier en même temps qu’une expérience culturelle inédite sur le territoire mosellan. Lorsque naît, à Metz, l’espace Octave Cowbell, le paysage local de l’art contemporain ressemble à un grand désert et s’accompagne, bien souvent, du préjugé qu’il s’adresse à une élite instruite. Il est vrai aussi que certaines approches froidement conceptuelles n’ont pas facilité son accès, ni encouragé la curiosité du public à son égard. Le festival Constellations n’existait pas, le Centre Pompidou-Metz non plus, tandis que le FRAC Lorraine sortait tout juste de son nomadisme forcé pour se fixer à l’Hôtel saint-Livier où il demeure aujourd’hui. En ce début de 21e siècle quelques îlots disparates sont déjà nés, comme Faux Mouvement, initiative pionnière donnant sur la très fréquentée place saint Louis, ou encore cet ambitieux centre d’art qu’est la Synagogue de Delme, un lieu d’art contemporain implanté en 1993 en rase campagne mais dont le déploiement reste limité, aucune navette n’ayant été développée pour assurer la liaison avec Metz et d’autres villes des environs.
C’est dire le courage et la ténacité qu’il aura fallu à Hervé Foucher, alors étudiant en arts plastiques à l’Université de Lorraine, pour se lancer dans ce projet fou ayant conduit à la création de la galerie Octave Cowbell. Professeur de théâtre et président pendant 18 ans de l’association qui l’a dotée d’une assise juridique, Olivier Goetz fut un témoin et un acteur direct de cette aventure. Il se souvient : « Hervé Foucher (…) avait crânement annoncé, sous les sarcasmes des gens raisonnables, qu’il allait ouvrir sa propre galerie d’art contemporain. Dépourvu de tout moyen financier, il était prêt à sacrifier la moitié de son modeste deux-pièces situé au rez-de-chaussée du n°5 de la rue des Parmentiers. Bien sûr, il n’était pas question de faire passer les visiteurs par sa chambre à coucher. (…) On entrerait par la fenêtre, un trait original qui devait faire beaucoup pour la réputation du lieu. » L’anecdote est rapportée dans le texte d’ouverture de Cocosmos : la rencontre des mondes, projet éditorial spécialement conçu pour célébrer les vingt années d’existence du lieu. L’objet, qui atteint quasiment 150 pages, est du plus bel ouvrage, arborant une couverture élégante et solennelle, vêtue de noir et de braises, dans une mise en page stylisée que l’on doit au graphiste Morgan Fortems de la galerie Mymonkey (Nancy), elle-aussi active depuis 2003.Au sommaire de ce recueil commémoratif on trouve des entretiens avec de nombreux artistes invités comme Anaïs Tondeur, Yann Bagot ou Cleverbot, mais aussi un « manifeste du milieu », une présentation contextuelle de l’espace Cowbell au moyen de ses archives, et une foule de récits déployés par divers plasticiens familiers du lieu que rassemble l’artiste François Génot.
Depuis l’ouverture, pas mal de choses ont changé. Le nouveau président se nomme Jean-Christophe Roelens, alors qu’Hervé Foucher s’est installé en Suède, où il passe le plus clair de son temps à confectionner des meubles et des canoës en bois local. Vanessa Gandar a quant à elle repris le flambeau d’Octave Cowbell depuis 2018. La jeune femme s’est récemment illustrée par l’originalité de son stand à la Luxembourg Art Week, où elle est venue jouer les trouble-fêtes en étant la seule à proposer, plutôt qu’un accrochage fonctionnel, une véritable mise en scène des œuvres qu’elle exposait. C’est à elle que l’on doit aujourd’hui cette judicieuse initiative éditoriale. Non seulement le recueil Cocosmos laisse une trace matérielle pérenne de l’expérience Cowbell, mais il consigne la mémoire collective du lieu et de celles et ceux qui l’ont traversé au cours de ces deux décennies de soutien à de jeunes créateurs émergents. On sourit, enfin, en lisant cette autre anecdote convoquée par Olivier Goetz : « Un jour, passant par la galerie, Jean-Jacques Aillagon, ex-ministre de la culture et ex-directeur du Centre Pompidou, né lui-même rue des Parmentiers, coucha sur le livre d’or cette phrase historique : « ici est le vrai Centre Pompidou ! ». Plaisanterie flatteuse qui s’accordait bien à l’exposition du moment : Baba Pompon, ainsi intitulée en l’honneur d’un Pompidou pop relooké par le regretté Jean-Christophe Massinon, compagnon de la première heure. » Le lancement de Cocosmos aura lieu le 24 janvier 2024, en même temps que l’inauguration de l’exposition des vingt ans La tempête des échos. C’est aussi la date à laquelle Octave Cowbell mettra fin à l’expérience atypique de la fenêtre pour s’établir place saint Louis, au 4 rue du Change, dans les anciens locaux du centre d’art Faux Mouvement. Un espace bien plus vaste où poursuivre la belle aventure.