Mardi à la Chambre, le ministre des Affaires étrangères a refusé de choisir un camp entre Israéliens et Palestiniens. Xavier Bettel (DP) a identifié l’ennemi : le Hamas. L’organisation considérée comme terroriste par l’UE (depuis 2006) et qui exerce son autorité sur la bande de Gaza fait figure, avec le Jihad islamique palestinien, d’ennemi public depuis le 7 octobre et les massacres commis par ses combattants en territoire israélien. Le Luxembourg dispose d’un moyen en particulier pour atteindre la cible : les canaux financiers.
Le Luxembourg, plateforme de la finance internationale, s’érige de fait en « allié » dans un communiqué publié le 27 novembre sur le site de la Cellule de renseignement financier (CRF). Y est annoncé la participation du Grand-Duché à la Counter Terrorist Financing Taskforce – Israel (CTFTI), aux côtés des autorités de renseignement financier de l’Australie, du Canada, de l’Estonie, de la France, du Liechtenstein, de la Suisse, du Royaume-Uni, des Pays-Bas, de l’Allemagne, d’Israël et des États-Unis. Ces quatre derniers pays, les soutiens les plus inconditionnels à l’État hébreu, dirigent ensemble le travail de ce groupe dont la mission est de briser le financement du Hamas et d’autres groupes terroristes. « The Task Force Members commit to taking concrete actions to enhance financial intelligence on terrorist-financing related matters and associated financial flows and economic activities », lit-on parmi les moyens engagés.
Lors d’une conférence à la Chambre de commerce le 13 décembre, la numéro deux de la CRF, Anouk Dumont, a annoncé que le nombre de dossiers traités en 2023 par l’autorité judiciaire en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme allait à nouveau croître à cause du « contexte géopolitique ». Plus qu’en 2022, année de l’agression russe en Ukraine et des sanctions consécutives ? « Je peux confirmer que nous avons reçu des déclarations qui sont en lien avec les événements du 7 octobre », lâche le directeur de la CRF, Max Braun, face au Land ce mercredi. Il ne précisera pas leur nature.
Devant l’auditoire réuni au sous-sol de l’institution patronale la semaine passée pour une sensibilisation à l’antiblanchiment, Anouk Dumont a caressé le sujet « délicat » de la lutte contre le financement du terrorisme. « On ne peut jamais trop dévoiler, mais on se base beaucoup sur la coopération internationale », a dit la directrice adjointe avant de promettre qu’on en apprendra davantage en janvier au cours d’une conférence organisée par la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF).
La lutte contre le financement du terrorisme revient en haut de l’agenda après deux décennies principalement consacrées à celle contre le blanchiment. Max Braun préfère parler d’« un nouveau travail de sensibilisation » et souligne l’indépendance de la CRF luxembourgeoise vis-à-vis du pouvoir exécutif. Cette cellule est administrée par le parquet et diffère de ses homologues policières, comme Tracfin en France, rattachée au gouvernement et donc jouant un rôle politique. La CRF n’en reste pas moins sensible au risque de réputation qu’elle assume pour le pays dans sa mission de lutte contre le financement d’actes terroristes telle que l’opération « déluge Al Aqsa » menée le
7 octobre. Elle compte ainsi laver tout doute. La situation rappelle les semaines consécutives au 11 septembre 2001. « Pour moi, ceux qui financent le terrorisme sont tout aussi coupables que ceux qui posent des bombes », avait tenu à souligner le ministre de la Justice, Luc Frieden en novembre 2001, « avec l’espoir d’ôter le doute qui subsiste quant à la volonté réelle des Grands-Ducaux » de laver les circuits financiers, lisait-on alors dans une dépêche AFP. La législation européenne en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LBC/FT) s’est développée à ces instants. La proposition de directive publiée en décembre 2001 a été transposée au Luxembourg le 12 novembre 2004. Le site de la CRF renvoie vers une publication de l’OCDE datant de la même année, « The Financial War on terrorism ».
Le jeu des alliances guerrières contre le terrorisme reprend. En objet d’un communiqué du 11 octobre de l’Israel Money Laundering and Terror Financing Prohibition Authority (IMPA), diffusé deux semaines plus tard par la CSSF, figure l’intitulé de l’opération militaire contre le Hamas et le Djihad islamique de Palestine : Swords of Iron. « Special attention must be paid towards financial activity whose purpose is to finance and support terrorist activity and to assist terrorist organizations », est-il écrit. Le régulateur luxembourgeois demande aux entités surveillées d’exercer « une vigilance particulière » pour ce qui touche aux transferts financiers évoqués dans la missive israélienne. « Derail the money train » (pour reprendre les termes du quotidien Haaretz) du Hamas est la mission menée en parallèle à l’action militaire. Luxembourg est mobilisé sur le volet financier sous la supervision de l’Oncle Sam, dont le Treasury (Ofac) a allongé sa liste de personnes ciblées (au Qatar, en Algérie ou en Turquie par exemple) les 18 et 27 octobre. « The United States and our allies are steadfast in our commitment to dismantling networks that support Hamas funding streams as part of our continuous effort to prevent and deter its terrorist activity », répond l’ambassade américaine au Land. Cette dernière confirme un contact rapproché, « sur ces sujets comme sur d’autres » avec le Premier ministre, Luc Frieden, et son ministre des Finances, Gilles Roth (CSV).
Dans un courrier diffusé la semaine passée aux entités supervisées, la CRF reprend une typologie des indicateurs de financement du terrorisme établi par l’Europol Financial Intelligence Public Private Partnership (EFIPPP). Ce courrier siglé « Strictly Confidential » fait suite à un autre envoyé par la CRF fin octobre sur les techniques de levée de fonds des organisations terroristes. Figurent parmi les moyens de financement des organisations terroristes le cash (utile pour son anonymat et son manque de traçabilité), les transferts en provenance des ONG (soumises à des règlementations allégées, elles peuvent dévoyer la destination des fonds par rapport à la cause initiale), le crowdfunding (sous un vernis humanitaire) ou encore la Hawala (retrait de fonds dans la juridiction des terroristes auprès d’une institution partenaire de l’émetteur après échange d’un code). Un autre moyen : les transferts via des juridictions à haut-risque comme l’Iran. Le recours aux monnaies virtuelles constitue l’un des plus grands défis posés aux autorités de lutte contre le financement du terrorisme, y compris au Luxembourg où des plateformes opèrent. En novembre, Bloomberg a exhumé des conversations du chef conformité du groupe Binance au sujet de « petites sommes » transférées par les terroristes. Le Hamas va difficilement « s’acheter un AK47 avec 600 dollars », lui avait répondu son collègue. Ce laxisme voire cette absence de considération pour les règles contre le financement du terrorisme ont valu une amende record de 4,3 milliards de dollars à la plateforme d’échange de cryptomonnaies. Au Grand-Duché, figure aussi la menace d’un recours aux « corporate vehicles », des chapelets de sociétés qui cachent les bénéficiaires économiques ultimes.
Où trouver l’argent ? Comment séparer le bon grain de l’ivraie ? Depuis le Kirchberg, la BEI finance des projets en Palestine. L’ONG Comité pour une paix juste au Proche-Orient apporte un soutien financiers à des réfugiés de Jenine. La seule occurrence du terme Palestine au Registre de commerce vise un fonds d’investissement : Rasmala Palestine Equity Fund. La banque dépositaire est locale : Quintet, établissement détenu par la famille royale qatarie. Le fonds comptait fin 2021 une petite trentaine de millions d’euros d’actifs, à 98 pour cent des titres d’entreprises actives sur le territoire palestinien. Il est engagé dans un processus de liquidation depuis le mois d’août. « Israel Found the Hamas Money Machine Years Ago. Nobody Turned It Off », titre le New York Times cette semaine. « Israeli leaders believed that Hamas was more interested in governing than fighting », écrit le média américain en s’appuyant sur des documents qu’ont eus en mains les services de Benjamin Netanyahou (des holdings immobilières ou des fonds opérant depuis la Turquie par exemple). Mais le Premier ministre israélien a cru que l’argent collecté dans la bande de Gaza par ses autorités « allait acheter la paix et la stabilité ». Loupé. 1 200 Israéliens ont payé de leur vie ce mauvais pari. S’ajoutent 20 000 palestiniens dans la bande de Gaza, dont plus de 8 000 enfants. Un décompte morbide qui augmente jour après jour.