Êtes-vous pour Freud ou contre Jung, pour celui qui traite ses amis comme des patients (dixit Jung) où contre celui qui traite ses patients comme des amis (dixit Yvan), pour le fumeur ou contre le fumiste, pour le scientifique rigoureux ou contre l’ésotérique obscurantiste, pour le juif ou contre le protestant, telles sont en gros les questions que David Cronenberg pose au spectateur dans son dernier film A dangerous method. Si le cinéaste ne se cache pas de préférer la « psycho-analyse » du juif viennois à la superstition du protestant zurichois, son film cependant ne verse jamais dans l’hagiographie. Il nous montre ainsi un Freud paranoïaque se sentant persécuté (pas toujours à tort, loin de là) par le monde médical et la société aryenne et nous raconte une des scènes primitives les plus connues de l’histoire de la psychanalyse, à savoir la liaison que Jung entretenait avec sa belle et brillante et donc hystérique patiente Sabina Spielrein.
Lacan n’aurait rien renié de ce film qui inscrit l’histoire des protagonistes jusque dans leurs noms : Sabina met en garde son thérapeute qu’il n’y a pas de jeux purs et innocents ; Jung joue le jeune séducteur, puis le jeune révolté contre la statue du commandeur ; Freud, le père de la psychanalye, prend plaisir à penser et Otto Gross, grand psychiatre excentrique, professe la grandeur d’une sexualité débridée se révélant, bien avant Reich et beaucoup plus que Freud, le précurseur de la révolution sexuelle des années 1960.
L’hystérie est à la mode cinématographique et elle n’a d’ailleurs jamais cessé d’être à la page, même si le film Hysteria de Tanya Wxler veut nous faire croire que le diagnostic ait disparu des traités médicaux en 1952. Comme si les psychiatres américains n’avaient pas été obligés de réintroduire le terme (entre de significatives parenthèses) dans les différentes éditions de leur Manuel de diagnostics et de statistiques ! L’hystérie nargue la médecine comme la femme se joue de l’homme. Par leur souffrance, théâtralement mise en scène, les hystériques cherchent à bousculer l’ordre (pas seulement sexuel) établi. Elles (ou ils) cherchent un maître pour le dominer, voilà leur paradoxe difficile à assumer et dont les deux films sus-cités nous donnent à voir des illustrations quasi cliniques avec les exemples Sabina Spielrein/Carl Gustav Jung et Charlotte Dalrymple/Mortimer Granville.
Voilà donc deux toiles qui lèvent le voile sur le meurtre nécessaire du père entre pairs et qui sont autant de mises en garde contre la suffisance de l’autorité masculine et universitaire. Elles constituent un bel hommage à la subversivité de la psychanalyse qui a, quoiqu’en disent ses (nombreux) détracteurs, encore de beaux jours et surtout de mystérieuses nuits devant elle.
Et peut-être même que ces deux films nous aident à redécouvrir Pardon my English, une délicieuse petite comédie musicale, signée des frères Ger-shwin qui se moque avec beaucoup de verve de la prohibition (et ?) de la psychanalyse. Reprenons alors tous au chœur le refrain de ce « musical » qui, comme la psychanalyse, renaîtra toujours de ses cendres : « Doctor Freud and Jung and Adler, Adler and Jung and Freud / Six psychoanalysts, we ! / Just let us make one diagnosis / We know vas los is’ ! / Adler : He’s oversexed ! / Jung : He’s undersexed ! / Freud : He hasn’t no sex at all ! »