Des milliers de voitures tous phares allumés qui avancent la nuit, c’est une image qui fait de l’effet. « J’avais l’impression qu’une ville entière arrivait à la frontière roumano-hongroise, déclare le médecin Vlad Rosca, qui a intégré les équipes de médecins et d’infirmières déployées en urgence aux frontières situées à l’ouest de la Roumanie depuis le début de la pandémie du coronavirus. Tout le monde était à son poste : policiers des frontières, gendarmes, la police de proximité et un petit bataillon de médecins et d’infirmières. En quelques minutes nous nous sommes retrouvés face à une file de milliers de voitures sur plusieurs kilomètres. Nous avons essayé de contrôler ce chaos, mais le plus dur a été de gérer le stress et l’indiscipline de ces gens qui voulaient passer la frontière à tout prix. »
Ils étaient partis nombreux vers l’Occident à la recherche d’un emploi bien rémunéré. Cette migration avait souvent fait la une des journaux depuis l’adhésion de leur pays à l’Union européenne. Environ quatre millions de Roumains, soit un cinquième de la population, ont migré en Europe de l’Ouest pour trouver du travail. La plupart d’entre eux avaient choisi les pays latins en raison de leur origine latine qui leur permettait d’apprendre facilement la langue, à savoir l’Italie et l’Espagne, pays européens aujourd’hui les plus touchés par le coronavirus.
Mais c’est à une migration en sens inverse que l’on assiste aujourd’hui. La pandémie déclenchée par le Covid-19 a poussé des dizaines de milliers d’ouvriers roumains qui travaillaient en Italie et en Espagne à revenir dans leur pays, même si le prix à payer a été parfois très lourd, car traverser l’Europe d’Ouest en Est en temps de crise n’est pas chose aisée. Les pays d’Europe centrale – Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie – ont interdit l’accès à leur territoire aux non-résidents, et un grand nombre de Roumains se sont retrouvés bloqués aux frontières de ces pays.
Le ministère roumain des Affaires étrangères a dû négocier avec ces pays pour qu’ils ouvrent leurs frontières aux Roumains confinés dans leurs voitures. Ce n’est que le mercredi 18 mars que les autorités hongroises ont accepté d’ouvrir la frontière qui traverse la ville de Nickelsdorf située au sud-est de l’Autriche, permettant à 6 000 Roumains de traverser la Hongrie pour revenir en Roumanie. « C’est une mesure exceptionnelle, précise Bogdan Aurescu, ministre roumain des Affaires étrangères. Les autorités hongroises nous ont garanti qu’elles allaient régler ce problème, mais que cette décision ne sera appliquée qu’une seule fois. »
Mugurel Hoban se souvient de ces heures d’attente, coincé entre l’Autriche et la Hongrie avant de rentrer en Roumanie. « C’était le chaos total, déclare-t-il. Les Hongrois ne nous ont donné aucune explication. Nous étions épuisés, stressés, affamés et il faisait très froid. Nous étions des milliers de Roumains venant de tous les pays de l’Ouest. Les Hongrois ont fini par nous laisser passer, mais nous n’étions pas au bout de nos peines. Arrivés à la frontière entre la Hongrie et la Roumanie un autre cauchemar nous attendait : attendre des heures que les policiers des frontières fassent leur travail et que les médecins nous fassent passer des tests. » Ceux qui ont eu la chance de passer les tests ont été confinés à leur domicile, les autres se sont retrouvés en quarantaine dans des centres d’accueil.
Le 16 mars, le président Klaus Iohannis a instauré l’état d’urgence, et depuis le 23 mars un couvre-feu limite drastiquement la sortie des Roumains. « Nous avions l’habitude d’envoyer des Roumains travailler à l’Ouest, a déclaré Dumitru Nastase, patron d’une entreprise de main-d’œuvre. Cette hémorragie des travailleurs partis à l’Ouest avait même provoqué une pénurie de main-d’œuvre en Roumanie. L’année dernière j’ai dû faire venir des travailleurs asiatiques. Les Roumains partaient, les Asiatiques arrivaient. Maintenant c’est le monde à l’envers. Ce sont les Roumains partis à l’Ouest qui reviennent, et je pense que beaucoup d’entre eux resteront ici après la crise du coronavirus. Quand l’économie reprendra je m’attends à une nouvelle crise de la main-d’œuvre à l’Ouest, donc à un retour à la case départ. »
La Roumanie ne compte que 433 personnes infectées par le Covid-19, et deux décès. Pas de quoi faire trembler un pays de vingt millions d’habitants, mais l’indiscipline d’une partie de la population qui refuse de respecter les consignes officielles ont poussé les autorités à instaurer un couvre-feu. Pour l’instant, les hôpitaux disposent de suffisamment de moyens pour gérer la pandémie, mais le pic du Covid-19 est prévu pendant la fête de Pâques qui aura lieu le 19 avril. « Le couvre-feu n’est pas une mesure abusive mais nécessaire, a déclaré Raed Arafat, médecin chef du Département des urgences au ministère de l’Intérieur. Nous allons probablement prendre des mesures encore plus dures, mais les gens doivent comprendre que nous voulons les protéger. »