Qui sont les macronistes et zemmouriens du Luxembourg ?

Neuilly-sur-Alzette

d'Lëtzebuerger Land vom 15.04.2022

La communauté française au Luxembourg a toujours été très fortement dominée par les droites. Le politologue à l’Uni.lu, Philippe Poirier, était délégué de l’UMP au Luxembourg, jusqu’à ce qu’il décide, en 2014, que cette fonction était « incompatible » avec ses activités de chercheur et de commentateur. Il connaît le microcosme de la droite française au Grand-Duché comme sa poche. Les résultats du vote à la Luxexpo ne l’ont pas surpris. Les Français du Luxembourg ressembleraient beaucoup aux Français du département des Hauts-de-Seine ou du XVIe arrondissement parisien, estime-t-il. Revenus élevés, bons diplômes, souvent propriétaires de leur bien immobilier, codes sociaux très reconnaissables : « des yuppies, on aurait dit autrefois ». Leur vote correspond donc logiquement à celui de leurs compatriotes des beaux quartiers de l’Ouest parisien.

Dimanche dernier, à la Luxexpo, Macron a pu rassembler les votes des centristes, gaullistes, libéraux et sarkozystes, engrangeant 49 pour cent des 13 200 bulletins de vote. (Le taux de participation ne fut que de 47 pour cent.) Mais ce sont les 10,5 pour cent enregistrés par Éric Zemmour (contre 7,2 pour cent en France) qui ont choqué les Luxembourgeois. « C’est que les Luxembourgeois ne connaissent pas la société dans laquelle ils vivent », s’exclame Philippe Poirier, qui estime que ce vote devrait « surtout désarçonner certains libéraux luxembourgeois qui fréquentent ces gens-là ». Le choix en faveur de Zemmour d’une partie des expats français paraît d’autant plus absurde que les partisans du polémiste d’extrême-droite scandaient « on est chez nous » et « rémigration » à leurs meetings de campagne.

La base électorale du vote Zemmour devrait en partie se recouper avec un milieu discret, mais qui a gagné en poids au Luxembourg : la haute bourgeoisie française ultra-catholique, libérale sur les questions économiques et conservatrice sur les questions sociétales. Issus des grands centres urbains et portant souvent des noms à particule, ces Français s’identifiant à la droite dure travaillent pour la plupart dans les banques et les cabinets d’audit, mais on les retrouve également à la BEI et aux institutions européennes. Dans ce milieu, on cultive un certain train de vie : une maison dans la Ville de Luxembourg, un appartement dans l’Ouest parisien et une propriété de campagne.

Ce microcosme très conservateur a établi ses propres structures au Luxembourg, notamment scolaires. En septembre 2010, l’École Charlemagne a ouvert ses portes, promettant un enseignement basé sur « des méthodes classiques ayant fait leur preuve » et « en harmonie avec l’éducation familiale ». C’est très old school: Les garçons y portent des blouses bleues, les filles des blouses roses. Le DP avait aidé cette école privée à trouver son premier local au Limpertsberg, non pas par sympathie idéologique, mais par opportunisme économique. Ainsi, lorsque l’établissement rencontrait des difficultés à renouveler son bail, les poids lourds de la place financière se mobilisèrent en sa faveur : Société Générale, BGL-BNP Paribas, PWC et la Banque de Luxembourg adressèrent des courriers au Premier ministre, Xavier Bettel, lisait-on dans le Wort en 2017.

L’image d’une communauté composée exclusivement de banquiers privés et de résidents fiscaux est évidemment réductrice. Les votes en faveur de Jean-Luc Mélenchon, qui finit deuxième au Luxembourg avec 12,8 pour cent, et de Yannick Jadot (7,9 pour cent) témoignent qu’il existe un « peuple de gauche », même parmi les Français du Luxembourg. Mais la prévalence de la droite reste écrasante. Elle n’est pas un fait nouveau. Déjà en 2017, Emmanuel Macron avait réuni 42 pour cent au premier tour, devançant François Fillon (32 pour cent). En 2012, Nicolas Sarkozy avait recueilli 39 pour cent des suffrages, soit douze points de plus qu’en France. Devenue un vote des classes populaires, Marine Le Pen n’a jamais réussi sa percée au Luxembourg : Son score reste coincé entre six et sept pour cent depuis 2012.

L’hégémonie du vote Macron n’aura pas uniquement réjoui Xavier Bettel, qui affiche sa proximité avec le président français (un peu comme Juncker était présenté comme le « Junior » de Kohl) au point de faire campagne à ses côtés, mais également le Stater DP. Les expats français ont remplacé les ouvriers portugais comme principale nationalité étrangère dans la Ville. Entre 2012 et 2021, le nombre de Portugais a chuté de 14 084 à 12 700, alors que le nombre de Français est monté de 14 173 à 21 199. (On comptait 37 799 résidents de nationalité luxembourgeoise au 31 décembre dernier.) Le vote français, à tendance fortement libérale, sera une des clefs de la conquête du Knuedler aux élections communales de 2023. À condition de savoir le mobiliser.

Bernard Thomas
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