Le M-Tiss, « M comme métissage et Tiss comme tissage, pour la cohésion de valeurs universelles », annonce Jean Dib Ndour, a ouvert ses portes ce printemps au cœur de Differdange. Le large sourire que son gérant affiche, lorsqu’il accueille les clients dans ce café culturel, ne laisse pas deviner le parcours par lequel il est passé pour en arriver là. Né dans un petit village au Sénégal, Jean Dib Ndour a grandi avec quatre frères et deux sœurs. En outre, dans une société soudée, dans laquelle les enfants vivant trop loin de l’école venaient manger chez lui à la pause du midi, tout le village était finalement comme une grande famille. Cette enfance, avec ses joies et ses difficultés, est racontée dans son premier livre, Itinéraire d’un enfant d’Afrique (2014).
En 2002, après de premières études à Dakar, il part pour Paris. Soleil voilé (2017), son deuxième livre, traite de ce difficile exil vers l’Europe. Le ciel y est gris, personne ne se dit bonjour. Dans le bus, alors qu’il souhaite céder sa place à une vieille dame, comme le veut le respect des anciens qu’on lui a inculqué, celle-ci prend peur et resserre les mains autour de son sac. « J’ai vécu une nostalgie assez foudroyante », se remémore Jean Dib Ndour avec amertume. Il voulait devenir avocat pour défendre les plus faibles, mais peine à s’accrocher à la fac de droit et ses amphis trop bondées tout en combinant son job étudiant dans un restaurant. Le jeune homme s’oriente finalement dans l'hôtellerie de luxe, ce qui l'amènera à vivre pour Londres. Dans cette ville multiculturelle, un café littéraire, novateur pour l’époque, va attirer son attention.
L’écrivain-hôtelier saute le pas en 2018 et ouvre le café culturel M-Tiss à Metz. Durant six ans, les débats, les concerts et les repas solidaires rassemblent un public varié et de belles rencontres se créent. Certaines personnes du voisinage ne partagent néanmoins pas cet enthousiasme et se plaignent de nuisances sonores. Pour le forcer à fermer son café, elles multiplient les actes de harcèlement et les insultes racistes telles que « retourne dans ta tribu ». L’avocate Laetitia Avia, qui lui a remis la médaille de l’Assemblée nationale en 2019, lui apporte, comme beaucoup d’autres, son soutien. À la fois contraint de partir et saisissant l’opportunité de déménager au Luxembourg, Jean Dib Ndour organise une dernière soirée messine en avril 2024.
À présent le M-Tiss anime donc l’avenue de la Liberté à Differdange. Sur deux vastes niveaux, un charme se dégage du mobilier hétéroclite : un piano décoré de bijoux bariolés, le symbole de la paix sur le comptoir, des masques et statues d’Afrique disposés un peu partout, des tables et des chaises dépareillées. Plusieurs tableaux abstraits et colorés, réalisés par l’un des frères de Jean Dib Ndour, complètent la décoration bigarrée du café. L’un de ses oncles vient souvent lui donner un coup de main et une cuisinière, venant elle aussi du Sénégal, y propose des plats typiques de son pays et de l’Afrique de l’Ouest en général. En cet après-midi d’été, deux Portugaises discutent autour d’une table et le kebabier du coin, un habitué, vient prendre son café. Les habitants de Differdange se réjouissent de ce nouveau lieu convivial et Jean Dib Ndour a même déjà reçu un cadeau de la part d’un couple dont la femme est en fauteuil roulant. Son père à lui aussi était handicapé mais, à défaut d’utiliser ses jambes, il faisait fonctionner sa tête ! En plus d’une machine à écrire, il détenait l’unique Scrabble du village et les intéressés venaient donc sur place pour l’affronter. « Je leur échangeais des lettres contre un billet », confesse Jean Dib Ndour avec un sourire malicieux. C’est son père, mort aujourd’hui, qui lui a transmis son amour pour la littérature.
Si Jean Dib Ndour s’est lui-même saisi de la plume pour ses récits autobiographiques, il considère que c’était une nécessité, comme un exutoire. En 2019, il publie Sagesse venue d’ailleurs, un recueil de proverbes issus de la tradition orale africaine. Ses préférés ? Le porteur d’espoir « Quelle que soit la durée de la nuit, le soleil finira par se lever » et celui, plus pragmatique, « On ne peut pas battre le tam-tam et se gratter les fesses en même temps ». Après la rédaction thérapeutique de son parcours et la transmission de sa culture, celui qui aime autant la poésie de Senghor que le suspens d’Agatha Christie essaie de trouver assez de temps pour écrire un roman policier. Récemment, il s’est aussi livré sur la scène du M-Tiss à travers son One My Show, se moquant des stéréotypes et riant du choc des cultures. « Même à 4 500 kilomètres de chez moi, je crains toujours le jugement de ma mère », avoue Jean Dib Ndour : « Qu’est ce qu’elle dirait à me voir faire le clown ? ». Chaque année, il retourne la voir au pays. Il en profite aussi pour se ressourcer auprès des anciens et revient dans son café enrichi, prêt à partager.