Une forêt à soi

d'Lëtzebuerger Land vom 15.08.2025

Dans la culture japonaise, le tokonama désigne un objet, une écriture, une pierre ou un arbre placé dans une demeure pour honorer et impressionner le visiteur. Mais il ne viendrait pas à l’idée de Jean-Pierre Reitz d’installer l’un de ses bonsaïs dans sa maison. « Il dépérirait en trois mois ! explique ce passionné de nature, qui pratique l’art du bonsaï depuis trente ans. Il ne faut tout de même pas oublier que c’est un arbre... ». Direction le jardin donc, où tel un empereur chinois (patrie d’origine de cette pratique millénaire), Jean-Pierre a fait venir la forêt à lui. Quelque 70 arbres vivent et « grandissent » ici, chacun demandant des soins particuliers selon son stade de développement : les mame tiennent dans la main, puis peuvent devenir shohin, komono etc... Les plus beaux sont exposés sur des plateaux tournants, comme ce charme qui a bénéficié de 15 heures de taille sur trois jours, ou ce hêtre primé sur lequel Jean-Pierre travaille depuis dix ans. À leurs côtés, de plus modestes érables, prunelliers, oliviers, magnolias, ou ces aubépines s’élançant depuis une souche unique, leur donnant un aspect d’oasis miniature.

N’importe quelle espèce peut être utilisée pour en faire un bonsaï. Si on peut en acheter chez des pépiniéristes, on peut aussi pratiquer le yamadori, qui consiste à prélever des spécimens en forêt. « Il n’est pas nécessaire d’aller très loin, indique Jean-Pierre en désignant la forêt autour de chez lui. J’ai par exemple un chêne rouvre prélevé près d’ici. On demande toujours l’autorisation au forestier, mais comme on privilégie de jeunes pousses régulièrement broutées par le gibier, qui resteront donc toujours petites, généralement il n’y a pas de problème ». Une fois l’arbre dans son pot, le travail commence : on soigne le pied, on introduit dans la terre des engrais organiques, on taille les racines ainsi que le feuillage pour maîtriser le bourgeonnage et laisser passer assez de lumière, on ligature les branches pour les orienter. Un joli réseau de branches est un critère majeur de beauté pour un bonsaï. Mais l’idée n’est pas d’atteindre une perfection à l’aspect figé. « Dans la culture zen, le changement est important, on le célèbre, précise Jean-Pierre. Avoir un arbre qui semble à l’état naturel est idéal. Parfois, des parties du bonsaï meurent, on ne peut rien y faire... mais le bois mort qui s’enchevêtre avec le vivant, c’est aussi très beau ».

Cette activité minutieuse et contemplatrice convient bien à un être comme Jean-Pierre, luthier à la retraite qui continue à construire des instruments dans son atelier. L’art du bonsaï, né en Chine vers 200 ans avant JC, a été ensuite adopté par la philosophie zen japonaise à la fin du huitième siècle. « J’étais déjà quelqu’un de zen avant de cultiver des bonsaïs, sourit Jean-Pierre. J’aime la simplicité, l’épure : c’est ma philosophie de vie ». Une passion née un peu par hasard : son épouse Annick, qui soigne le potager et les fleurs de leur jardin, lui présente un jour une amie souhaitant se débarrasser de ses spécimens. « J’ai été contaminé par le côté créatif, explique-t-il en sirotant une tisane maison. Déjà en lutherie, c’était ce que je préférais ».

Jean-Pierre est fier de ses arbres, aime les montrer, faire remarquer l’aspect « dramatique » d’un pin à l’allure torturée, ou un olivier qui semble millénaire... Il l’est peut-être : comme de nombreux bonsaïs, il s’est transmis de passionné en passionné. « Dans tous les cas, l’objectif est d’apporter une sensation à celui qui regarde l’arbre, comme pour une œuvre d’art » note Jean-Pierre. Certains ne valident pas cette vision des choses, ce qui a pu poser des problèmes à l’association qu’il préside, le Bonsaï Frënn Minett de Differdange, pour l’obtention de certaines subventions. Néanmoins, les arbres cultivés par les membres de l’association sont régulièrement exposés.

Si soigner un bonsaï est un plaisir qui se savoure sur le long terme, pas besoin d’être un expert pour s’en occuper, assure le retraité : il nécessite simplement, « comme un enfant », qu’on lui consacre un peu de temps, d’amour et de patience... et d’avoir sous la main, en cas d’absence, un voisin en qui on a une confiance totale. En cette période de grosses chaleurs, celui de Jean-Pierre répond présent pour arroser ses arbres deux fois par jour. On rêve d’en avoir un comme ça.

Note de bas de page

Benjamin Bottemer
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