Grand air

d'Lëtzebuerger Land vom 08.08.2025

L’été n’est pas seulement l’occasion de changer d’activités, c’est aussi le moment où l’on peut faire les mêmes choses que d’habitude, mais en plein air plutôt qu’à l’intérieur. De quoi assurer la petite dose de fantaisie dont nous avons tous besoin.

Tout d’abord, c’est de la musique qu’il nous est donné de profiter la tête à l’air. Enfin, « donner », c’est pour le Blues’n’Jazz Rallye ou les concerts à la Kinnekswiss. Ceux organisés dans le cadre moins bucolique de LuxExpo ne relèvent pas spécialement de la charité envers le public : le prix d’un ticket pour seul groupe y approche celui d’une journée entière lors d’un festival ailleurs en Europe. Le premier intérêt du concert en plein air, c’est évidemment le nombre de spectateurs qui n’est plus limité par la capacité d’une salle. Ceux qui ont écouté Joyce DiDonato début juillet auront constaté qu’il ne restait pas beaucoup de brins d’herbe entre les couvertures de pique-nique et les fauteuils de pêcheurs, au milieu desquels il fallait se frayer un chemin pour espérer ne pas regarder un tronc d’arbre du parc municipal.

Rayon culture toujours, impossible de passer à côté des séances de cinéma en plein air. Pas de salle obscure, puisqu’il n’y avait pas de salle du tout. Ici, les sièges étaient fournis, et bien alignés sur le Knuedler. Si vous aimez des fauteuils enveloppants et un silence religieux pour pleinement profiter d’un film, passez votre chemin. Le principe, ici, c’est de se lever pour chercher une bière ou un burger, enfiler sa capuche si on a un peu froid et discuter avec son voisin si ça nous chante, puisque de toute façon on entend les gens sur les terrasses alentours, et que Cargolux n’a pas daigné suspendre les survols de la capitale pendant deux heures chaque soir.

Les sorties au restaurant n’échappent pas non plus à l’exercice. L’été, il faut non seulement faire le choix de l’établissement, du menu et des boissons, mais faire aussi face au choix cornélien entre salle ou terrasse. Opter pour l’extérieur est tentant lorsque la météo s’y prête, mais impose différentes épreuves. Premièrement, votre assiette refroidit beaucoup plus vite, si elle n’est pas arrivée déjà froide. Préférez donc une salade, compatible avec les éventuels objectifs que vous vous seriez fixés en termes de « summer body ». Ensuite, le serveur a plus de risques de vous oublier, surtout si vous êtes installés de l’autre côté de la rue, entre une place de parking et un lampadaire. Enfin, vous risquez de mener une lutte sans merci contre une armada de guêpes, dont vous sortirez sans doute victorieux, mais peut-être au prix du sacrifice du verre de vin à 12 euros dans lequel se sera noyé un hyménoptère.

Dehors, on se plairait presque à apprécier le sinistre de l’intérieur : préparer à manger pour toute la famille se transforme en séance de barbecue, perdre du temps dans sa voiture pour aller au travail revient à profiter des heures fraîches dans son cabriolet ou, encore mieux, d’une promenade à vélo. Enchaîner des longueurs dans les odeurs de chlore se mue en une séance baignade et farniente au bord de la piscine. Même le télétravail a offert à tous ce que les travailleurs du bâtiment connaissent toute l’année, dans des conditions autrement plus éprouvantes : travailler dehors. Pour les « cols blancs », que ce soit sur une terrasse ou au bord de l’eau, il faut seulement disposer d’une connexion Internet correcte. Est-ce une avancée significative offerte par le progrès technologique de pouvoir préparer des notes de synthèse et des budgets révisés en bermuda, d’assister à des réunions en visio en utilisant une photo d’un faux bureau en arrière-plan virtuel, tout en demandant à la famille de bien vouloir faire un peu moins de bruit dans la piscine ? Certains collègues n’activent plus leur « out of office », qui signalait qu’ils ne liraient pas leurs courriers électroniques pendant plusieurs semaines. Mais s’ils ne sont plus vraiment sortis du bureau, c’est surtout leur bureau qui est de sortie !
Pourquoi fuir l’air conditionné du bureau, de la voiture, du restaurant ou du cinéma pour l’air pollué, vicié, tantôt humide et chaud, tantôt froid et venteux, infesté d’insectes gros comme des pigeons, saturé de pollen allergisant et exposé aux bruits incessants des moteurs en tous genres ? C’est sans doute pour, quelques semaines par an, ressentir de nouveau le contact avec la nature, sans l’abri d’un toit et de quatre murs, avec pour seule protection de légers vêtements et une paire de lunettes de soleil, et nous préparer ainsi à l’épreuve finale que nous réserve l’été luxembourgeois, apothéose estivale qui ne peut se vivre qu’à l’extérieur : la Schuberfouer, avec ses foules, ses hurlements, ses odeurs... et son Air Maxxx.

Cyril Boyer
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