La question des déficits publics européens envenime les relations entre les États-membres cette semaine, notamment entre la France et l’Allemagne. La conséquence de la gestion de la pandémie ? De 2020 à 2023, pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire puis de l’inflation, la plupart des pays touchés ont dû lâcher la bride de leurs finances publiques. Ces circonstances étant désormais révolues, un tour de vis s’annonce, comme l’a révélé un rapport de l’OCDE sur l’évolution des politiques fiscales, paru le 30 septembre.
Dans l’UE, la fiscalité reste une prérogative nationale, la Commission et le Parlement n’ayant que des compétences limitées dans ce domaine. Malgré de gros efforts d’harmonisation, surtout en matière de fiscalité indirecte, on observe du même coup des systèmes et des politiques d’imposition et de taxation très disparates d’un pays à l’autre. Cette diversité se retrouve naturellement au niveau mondial, et elle a même eu tendance à s’accentuer depuis 2020 pour répondre aux défis économiques et sociaux qu’ont été la crise du Covid puis la forte hausse des prix.
Néanmoins de grandes tendances communes se dessinent, comme le montre l’étude de l’OCDE. Intitulé « Réformes de politiques fiscales 2024 », le document de 70 pages passe au crible les réformes fiscales introduites ou annoncées pendant l’année 2023 dans 90 juridictions membres du « Cadre inclusif de l’OCDE et du G20 contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices » (BEPS pour base erosion and profit shifting) qui en compte 136.
Tout au long de l’année ont été remis en cause des allègements fiscaux, sous forme de réductions de taux d’imposition et de mesures de rétrécissement de l’assiette fiscale, qui avaient permis aux ménages et aux entreprises de supporter les chocs de 2020 et de 2022. Et ce n’est pas terminé. Dans de nombreux pays de l’OCDE les finances publiques n’en peuvent plus. Les aides ont creusé les déficits budgétaires (4,8 pour cent du PIB en moyenne) et la dette publique moyenne est passée de 104 à 113 pour cent du PIB entre 2022 et 2023. Elle n’a diminué, en proportion, que dans sept pays.
Or, selon le Secrétaire général de l’OCDE, l’australien Mathias Cormann, il faut pourtant trouver « la marge de manœuvre budgétaire nécessaire pour faire face aux chocs futurs et soutenir les transformations structurelles à long terme auxquelles nos économies et nos sociétés sont confrontées, notamment le passage au numérique et l’IA, l’évolution de la structure des échanges, le changement climatique et le vieillissement de la population ». La suppression des avantages consentis entre 2020 et 2023, a minima, et éventuellement la hausse des taux et l’élargissement de la base fiscale des principaux impôts sont maintenant au programme. La principale nouveauté concerne la hausse de la fiscalité des entreprises (moins de onze pour cent des recettes fiscales dans les pays de l’OCDE). La tendance à la baisse des taux d’impôt sur les sociétés (IS), observée depuis la crise financière il y a quinze ans, semble s’être arrêtée, avec, en 2023, beaucoup plus de pays mettant en œuvre des augmentations de taux que des baisses : c’est la première fois depuis la première édition du rapport de l’OCDE en 2015.
De toute manière, les taux d’IS se situant à des niveaux historiquement bas, il était difficile de les baisser encore. De ce fait, les pays et juridictions qui souhaitaient maintenir un traitement fiscal favorable aux entreprises ont plutôt privilégié des mesures destinées à réduire leur base d’imposition. Concernant les entreprises multinationales, la mise en œuvre de l’impôt minimum mondial qui leur est applicable, approuvé par 136 pays en octobre 2021 (un taux plancher effectif de quinze pour cent) fait son chemin. En avril 2024, soixante juridictions avaient annoncé pouvoir l’introduire dans les deux ans, dont 36 dès 2024, ou prendre des mesures en ce sens à partir de 2025. Le Luxembourg a transposé la directive le 20 décembre 2023, un an après son adoption. Les incitations fiscales n’ont pas disparu mais sont de plus en plus liées à la question du climat. Ainsi, plusieurs pays ont instauré de généreuses mesures de réduction de l’assiette fiscale des sociétés, c’est-à-dire du montant servant de base au calcul de l’impôt, pour promouvoir les « investissements propres ».
Du côté des particuliers, la hausse des cotisations sociales se substitue à celle de l’impôt sur le revenu. Selon l’OCDE, en 2023, des baisses de l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) ont encore été consenties pour soutenir les revenus des ménages et favoriser la reprise économique. Mais elles ont surtout ciblé les ménages les plus modestes ou de la classe moyenne-inférieure.
Pour compenser la hausse inédite des prix et celle des salaires, les plafonds de revenus correspondant à la « tranche à zéro pour cent » ont été relevés, parfois davantage que ce que l’inflation aurait justifié, permettant à certains ménages d’être exonérés et à un grand nombre de voir se réduire leur charge fiscale. En revanche, une tendance émergente se dessine pour accroître les cotisations sociales, en élargissant leur base ou en augmentant leurs taux. Au niveau de l’OCDE, elles pèsent déjà plus que l’impôt sur le revenu (26,7 pour cent des recettes fiscales contre 24,2 pour cent). Il s’agit de faire face aux besoins de financement de la protection sociale et aux conséquences des évolutions démographiques. La part de la population âgée de 65 ans et plus dans les pays de l’OCDE a doublé depuis le début des années 60, passant de dix à vingt pour cent, et devrait encore s’accroître, de même que les dépenses de santé associées, notamment pour les soins de longue durée.
Pour ce qui est des impôts indirects, une sorte de « retour à la normale » est observé en matière de TVA. À partir de fin 2021 et surtout en 2022, d’importantes mesures d’allégement de la TVA applicable à l’énergie et aux produits de première nécessité ont été prises pour combattre le rebond de l’inflation. De nombreux pays les ont prolongées, voire élargies début 2023, toutefois dans la deuxième partie de l’année, une stabilisation des taux, une réduction des exonérations, voire un retour à la case départ ont été observés. Six pays ont même relevé leur taux normal de TVA l’an dernier.
Mais le recours à des taux réduits de TVA, par exemple pour les véhicules électriques, ou à des exonérations (pour les panneaux solaires) reste d’actualité pour encourager la transition vers des économies plus sobres en carbone. Dans le même esprit un certain nombre de pays ont augmenté leurs taxes carbones. Parmi les impôts indirects, figurent les « droits d’accise », ces taxes qui frappent notamment le tabac, les boissons sucrées ou alcoolisées et les jeux de hasard. Plusieurs pays à revenu élevé et à revenu moyen-supérieur les ont relevées, toujours sous le prétexte « de promouvoir des modes de vie sains et d’améliorer la santé publique » peut-on lire dans le rapport. La réalité est plus prosaïque : ces « recettes de poche » comme on les appelle parfois, ont une large base, sont faciles à collecter et alimentent substantiellement les caisses publiques car elles ne sont pas vraiment dissuasives pour les consommateurs. Dans l’OCDE, les taxes sur les biens et services (TVA et accises) sont le principal impôt avec un tiers des recettes fiscales.
Dans le rapport de l’OCDE, le Luxembourg est cité à plusieurs reprises, mais pas très souvent. Ce qui signifie que peu de mesures fiscales significatives y ont été adoptées en 2023. Il est vrai qu’avec un déficit budgétaire annuel et une dette publique globale très modestes (respectivement 1,25 pour cent et 25 pour cent du PIB), le Luxembourg a des marges de manœuvre que d’autres pays n’ont pas, ce qui lui a permis de continuer à alléger la fiscalité directe, surtout celle des particuliers. Il fait ainsi partie de la douzaine de pays, surtout à revenu élevé, qui ont augmenté le plafond d’exonération de l’impôt sur les personnes physiques. En Europe les pays baltes, l’Italie, l’Espagne, les Pays-Bas, la Norvège, la Finlande et la Croatie sont aussi dans ce cas.
En plus d’ajuster les tranches d’imposition, le Grand-Duché a introduit un nouveau crédit d’impôt temporaire pour les salariés et les retraités afin de compenser la perte de pouvoir d’achat, et un crédit d’impôt pour compenser la taxe carbone sur les produits énergétiques pour les ménages à revenus faibles et moyens. Autant de mesures qui contribuent à rétrécir l’assiette fiscale, selon l’OCDE, d’autant que les revenus du capital (loyers et revenus de l’épargne) ont vu aussi leur base diminuer. Le gouvernement, comme en Irlande, en Espagne ou en Suède, a également agi fiscalement en faveur du logement, en rehaussant le plafond des intérêts déductibles pour les logements occupés par leur propriétaire, avec des augmentations supplémentaires pour les ménages avec enfants éligibles au dispositif. Rien de spécial n’a (encore) été observé concernant l’impôt sur les sociétés, où le cas du Luxembourg est assez spécifique : malgré un taux faible de 17 pour cent, l’IS occupe une part de douze pour cent dans les recettes fiscales, soit trois fois plus qu’en Italie, deux fois plus qu’en Allemagne ou en France et un tiers de plus qu’en Belgique (notamment grâce à son secteur financier). La proportion la plus basse, 2,8 pour cent, a été relevée en Estonie, pour 17 pour cent en Irlande.
En revanche, il y a eu du nouveau du côté de la TVA, qui représente un quart des recettes fiscales. Le Luxembourg a mis fin à la diminution temporaire de trois taux de TVA, le standard qui avait été abaissé de 17 à 16 pour cent, et les réduits passés respectivement de 14 à 13 pour cent et de 8 à 7 pour cent en janvier 2023 pour stimuler la consommation dans un contexte d’inflation croissante. En tant que pays membre de l’UE, le Luxembourg appartient aussi au groupe des 33 pays ayant mis en œuvre des réformes pour garantir que la TVA soit collectée efficacement sur les ventes en ligne de biens importés de faible valeur.