La directive de 2022 sur le salaire minimum adéquat dans l’Union européenne fixe l’objectif de porter à 80 pour cent le nombre de salariés couverts par une convention collective de travail. Avec un taux de couverture des conventions collectives de 59 pour cent, le Luxembourg est actuellement loin de cet objectif.
Adoptée à l’initiative du commissaire européen à l’Emploi et aux Droits sociaux, Nicolas Schmit (LSAP), la directive voit la négociation de conventions collectives collective comme un moyen de briser le cercle vicieux de la pauvreté au travail. La directive souligne le fait que la proportion de travailleurs à bas salaires tend à être plus faible et les salaires minimaux plus élevés dans les pays où la couverture des conventions collectives est importante.
Chaque État membre de l’UE, qui n’atteint pas le seuil de 80 pour cent, doit établir un plan d’action national pour accroître le taux de couverture des conventions collectives. Dans le cas du Luxembourg, plusieurs pistes méritent d’être explorées afin d’augmenter le nombre de conventions collectives négociées et d’en renforcer la qualité.
Négociations sectorielles
Des conventions collectives peuvent être négociées au niveau des entreprises ou à l’échelle sectorielle entre les syndicats et les entreprises ou associations d’employeurs. Au Luxembourg, les disparités sont importantes entre les secteurs d’activité. Le taux de couverture est élevé, voire très élevé, dans l’administration publique et l’enseignement, dans la santé et l’action sociale, le transport ou la construction. Il est en revanche faible ou très faible dans le commerce, l’hôtellerie et la restauration ou d’autres activités de services.
Une augmentation substantielle du taux de couverture des conventions collectives passe nécessairement par la négociation de nouvelles conventions collectives au niveau sectoriel. En effet, les pays européens qui ont un taux de couverture supérieur à 80 pour cent font une large part à la négociation sectorielle ou interprofessionnelle dans la régulation des conditions de travail et de rémunération. En particulier, dans des secteurs caractérisés par la présence de nombreuses entreprises de petite ou moyenne taille, comme le commerce ou l’hôtellerie et la restauration, la négociation d’accords collectifs sectoriels, déclarés d’obligation générale par le législateur, apparaît comme une voie privilégiée.
D’après le Code du travail luxembourgeois, les organisations syndicales et les organisations patronales peuvent prendre l’initiative de demander l’ouverture de négociations. Dans ce cas, la partie sollicitée a l’obligation d’entamer la négociation. Cette disposition est souvent interprétée à tort, à notre avis, comme s’appliquant exclusivement au niveau de l’entreprise. En effet, rien dans la législation ne permet d’exclure a priori son application au niveau sectoriel. Elle pourrait donc constituer un levier pour relancer la négociation au niveau des secteurs d’activité.
Capacité à négocier
Dans la pratique, la négociation collective sectorielle achoppe cependant souvent sur l’absence d’un interlocuteur prêt à négocier du côté des employeurs. Un certain nombre d’organisations d’employeurs considèrent en effet qu’elles n’ont pas vocation à négocier et se positionnent comme de pures organisations de lobbying ou des prestataires de services pour leurs adhérents.
Contrairement à la législation applicable aux organisations syndicales, la loi encadre très faiblement l’acteur patronal de la négociation collective. Afin de garantir la capacité de négocier des organisations d’employeurs ne faudrait-il pas envisager d’aligner les dispositions pour les organisations d’employeurs sur celles applicables aux organisations syndicales tout en les adaptant à leur spécificité ? Une piste de réflexion pourrait aussi être de conférer pour certains secteurs de l’économie des mandats de négociation à la Chambre de commerce ou à la Chambre des métiers, institutions à affiliation obligatoire. En Autriche, la Wirtschaftskammer, également à adhésion obligatoire, est par exemple partie prenante de la négociation collective.
Le nombre de salariés couverts par une convention collective à l’intérieur des différentes entreprises est aussi à prendre en considération. Le Statec estime le taux de couverture dans le secteur des activités financières et d’assurance à seulement
52 pour cent, malgré l’existence, dans ce secteur, de conventions collectives déclarées d’obligation générale. L’office statistique explique cette situation par la classification de nombreux salariés dans ces activités comme « cadres supérieurs », ce qui les exclut automatiquement de l’application de la convention collective. Les organisations syndicales critiquent fréquemment la classification abusive de salariés dans cette catégorie, évoquant l’existence de « faux » cadres supérieurs. Une disposition du Code du travail, qui passe un peu inaperçue, donne pourtant la possibilité aux syndicats de contester cette classification et de revendiquer la réintégration dans la convention collective de salariés qui ne répondent pas aux critères prévus par la législation. Par ailleurs, ils peuvent expressément inclure les « vrais » cadres supérieurs dans la convention collective ou négocier une convention collective spécifique pour eux. La relance de cette disposition légale pourrait améliorer le taux de couverture des salariés dans le secteur financier et au-delà.
Principe de faveur
La négociation collective n’est pas une fin en soi. Elle vise à améliorer les conditions de travail et de rémunération. Selon le principe de faveur inscrit dans le Code du travail, une disposition conventionnelle « contraire aux lois et règlements est nulle, à moins qu’elle ne soit plus favorable pour les salariés ». En d’autres mots, la dérogation à la loi doit comporter une amélioration pour les salariés. Pour s’assurer de la qualité des conventions collectives négociées il apparaît opportun de relancer le principe de faveur auprès des organisations syndicales et patronales. Ceci implique une réflexion sur les ressources juridiques dont disposent ces organisations, mais aussi sur le contrôle de conformité des conventions collectives avec la loi, prévu dans le Code du travail. En particulier, le respect de l’égalité entre les femmes et les hommes dans les dispositions conventionnelles devrait être vérifié.
Renforcer le suivi par les autorités publiques de l’état de la négociation collective et de son évolution, ainsi que la recherche sur le processus d’élaboration et le contenu des conventions collectives, peut contribuer à améliorer la qualité des accords conclus et créer une culture sociale favorable à la négociation collective. Ceci implique en premier lieu de rendre accessibles les conventions collectives. Actuellement, les conventions collectives ne sont en effet pas publiques, sauf à être déclarées d’obligation générale. Il est donc nécessaire de mettre en place un répertoire des conventions collectives accessible au public, ainsi que de publier un rapport annuel détaillé sur la négociation collective, à l’instar des rapports annuels Bilans de la négociation collective publiés par le ministère du Travail en France. De plus, l’introduction d’un label pour les entreprises ayant conclu une convention collective d’entreprise ou adhérant à une convention sectorielle pourrait servir d’incitation à la négociation. Renforcer la négociation collective peut être un moyen de contrer la montée des inégalités sociales tout en étendant l’aire de la citoyenneté et de la démocratie au travail. L’extension du domaine de la négociation collective apparaît ainsi comme un antidote à l’essor du populisme autoritaire.