L’injuste prix

d'Lëtzebuerger Land vom 04.10.2024

La reformation du groupe Oasis a eu pour effet direct la ruée sur les places de leurs prochains concerts. Le risque que les deux frères déterrent de nouveau la hache de guerre, combinée à la normalisation des tarifs délirants pour des manifestations sportives ou musicales, ont entrainé un emballement de l’algorithme « dynamic pricing » qui détermine les tarifs des places de façon dynamique, un peu trop dynamique sans doute. La plate-forme particulièrement en forme a ainsi proposé des prix stratosphériques, dépassant les 500 euros ! Pour écouter Wonderwall ! Même la ministre britannique de la Culture s’en est émue.

Dans un monde un peu moins fou, on pourrait imaginer que le prix des biens de consommation courante correspondrait environ à la somme des coûts de revient (ici : le cachet), de promotion et de distribution, augmentée d’une marge commerciale raisonnable. Ce n’est évidemment pas le cas : on vend au prix auquel on suppose que l’acheteur est prêt à payer. Après tout, c’est ce qui vaut depuis longtemps pour une maison, une œuvre d’art, ou plus généralement n’importe quel objet mis aux enchères ou proposé au souk de Marrakech. Mais ce sont des prix par nature négociables. Pour un billet d’avion, également, il n’y a rien de vraiment révoltant à ce qu’un touriste qui a réservé six mois à l’avance paye la moitié du prix demandé à la personne qui se décide au dernier moment, et qui attache plus d’importance à la disponibilité du billet qu’à son prix. En revanche, quand on se retrouve avec des billets de train de première classe moins chers que ceux de seconde classe, car ces derniers sont plus largement demandés, c’est qu’il commence à y avoir des grumeaux dans le potage.

À l’origine, la discipline connue sous l’expression « yield management » était destinée aux entreprises de services afin de déterminer quel prix fixer pour maximiser le revenu à tirer d’un hôtel ou d’un avion. Par exemple, si vous avez cent places, vaut-il mieux toutes les vendre à 100 euros pièce ou se contenter d’en vendre seulement 80 mais à 120 euros quitte à avoir vingt pour cent d’invendus ? Après un rapide calcul, vous vendez évidemment vos 80 billets au prix fort mais plutôt que de rester le reste sur les bras, vous les mettez ensuite en vente à 60 euros pour les écouler quand même. Ou à 150 euros s’il vous reste suffisamment de temps. Ou tout autre prix que vous pensez qu’un nombre – même réduit – de personnes est prêt à payer.

On imagine bien qu’en ajoutant un peu de nouvelles technologies et une bonne dose d’appât du gain, le système est désormais voué à partir en dérapage incontrôlé. En effet, vus les tarifs de l’immobilier, on peut comprendre que les spéculateurs se rabattent sur les Pokémons rares ou les billets de Taylor Swift. Du coup, on ne sait plus trop si c’est la rareté qui fait monter les prix, ou la perspective d’une revente avec plus-value qui engendre la pénurie. Certains vendeurs de sneakers ont ainsi mis en place des « raffles », autrement dit des loteries, dont les heureux gagnants remportent l’immense privilège de payer 500 euros pour des chaussures qui ne sortiront pas de leur boîte. Il y a fort à parier que les personnes qui voulaient acheter des places pour les frères Gallagher n’étaient pas toutes des fans du groupe de Manchester (surtout pas de leurs cinq derniers albums).

Reste à savoir si cette pratique peut s’étendre à d’autres produits. Tous les supermarchés proposent des pots de yaourt à tarif réduit quand on se rapproche de la date limite de consommation. On s’attend également à des réductions sur les prix des vêtements pendant le Mantelsonndeg ou sur les prix des voitures pendant l’auto-festival. Mais serait-il socialement acceptable que les boulangeries augmentent le prix des viennoiseries le dimanche matin ? Que les restaurants offrent un menu moins cher à ceux qui viennent à plus de trois et arrivent avant 19h30 ? Que l’essence ou les péages autoroutiers coûtent moins cher en semaine que le week-end ? Que les cinémas différencient les tarifs des films en fonction de leur succès ? Et, finalement, pourquoi pas que notre propre rémunération soit soumise à des algorithmes qui détermineraient si nous sommes vraiment aussi indispensables que nous le souhaiterions...

Cyril B
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