Chroniques de l’urgence

Générosité mal placée

d'Lëtzebuerger Land du 21.05.2021

Des documents rendus publics par le magazine en ligne correctiv.de et le Spiegel jettent une lumière crue sur les circonstances dans lesquels le fameux « Kohlekompromiss » a été adopté en Allemagne l’an dernier. Cet accord, trouvé au sein d’une commission qui faisait la part belle aux pollueurs, permet aux groupes RWE et LEAG d’opérer leurs centrales au lignite jusqu’en 2038 et leur promet un dédommagement d’un montant de 4,35 milliards d’euros.

Jusqu’ici, le mystère régnait sur les paramètres ayant abouti à ce chiffre, généreux à tous points de vue. Les documents publiés la semaine dernière contiennent une formule de calcul qui fait intervenir notamment le manque à gagner résultant de la fermeture anticipée des centrales et le prix du carbone sur le marché européen des quotas.

Le bénéfice non réalisé dépend de plusieurs facteurs, dont le prix du charbon sur le marché mondial et le coût du kWh en Allemagne. Plus le prix du carbone, facteur externe grevant les bénéfices, est élevé, moins RWE et LEAG touchent de compensations. Or, les experts ayant ausculté la formule à la lumière des éléments d’information qui avaient filtré lors des négociations arrivent à la conclusion que le gouvernement a adopté sur chacun de ces points des hypothèses invraisemblables mais très favorables aux groupes charbonniers. Avec un prix de 17 euros la tonne, le ministère de l’économie a considérablement sous-évalué les coûts incombant aux énergéticiens. La tonne de carbone a déjà dépassé les cinquante euros aujourd’hui.

Le ministère de l’économie a démenti que cette formule ait servi au calcul des indemnisations, assurant que d’autres facteurs, sociaux notamment, sont intervenus. Toutefois, l’application de la formule aboutit au chiffre de 4,4 milliards – presqu’exactement la somme convenue, ce qui suggère que c’est bien elle qui a été utilisée.

Pourquoi le gouvernement a-t-il tenu à entourer cet exercice d’autant de secret ? Plus le ministre fédéral de l’Économie et de l’Énergie, Peter Altmaier, enfume, plus le soupçon grandit que si les mécanismes de compensation convenus étaient dévoilés, le compromis lui-même pourrait voler en éclat : Bruxelles pourrait y voir une aide d’État illégale. En outre, le prix du carbone va presque certainement considérablement augmenter au cours des prochaines années, rendant illusoires ces calculs. Mais surtout, avec un prix plus élevé, et compte tenu du prix en baisse des renouvelables, les énergéticiens seront probablement amenés à fermer leurs centrales au lignite bien avant 2038.

Lors de la publication du « Kohlekompromiss » en janvier 2020, la date de fermeture planifiée avait été perçue comme un scandale absolu eu égard aux responsabilités climatiques de l’Allemagne. Le lignite est le pire des combustibles, avec des émissions énormes par unité d’énergie et des nuisances locales indéfendables. Les révélations sur le mode de calcul des indemnisations complètent le tableau, démontrant que Peter Altmaier a littéralement voulu noyer RWE et LEAG sous les milliards publics.

Jean Lasar
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