Les matières plastiques représentent un marché précieux pour les compagnies pétrolières : de l’ordre de huit à dix pour cent en valeur. Une part écrasante de ce marché est linéaire, constitué de produits irrécupérables, non recyclables ou non recyclés, presque toujours catastrophiques pour les êtres vivants lorsqu’ils envahissent leurs milieux. Alors que l’utilisation de combustibles, socle de leur modèle d’affaires, est menacée par l’urgence de la décarbonation, les pétroliers entendent pourtant continuer à inonder le monde de plastique. Une situation qu’illustre bien le conflit qui a opposé ces derniers mois la marque de vêtements de loisirs The North Face à Innovex Downhole Solutions, un prestataire de services du secteur pétrolier.
En décembre dernier, Innovex a souhaité commander à North Face 400 manteaux siglés de son logo, comme cadeaux de Noël pour ses employés. Le fabricant de vêtements a refusé, déclarant à Innovex ne pas vouloir placer sur ses produits le symbole d’une entreprise au service des compagnies pétrolières. Ce qui aurait pu rester un désaccord commercial mineur s’est transformé en guérilla hargneuse de relations publiques, du fait du soutien apporté à Innovex par les milieux pétroliers et conservateurs.
Dans un premier temps, le CEO d’Innovex s’est fendu sur LinkedIn d’une lettre ouverte attaquant North Face et émaillée d’affirmations typiques des « inactivistes » (le CO2 est bon pour les plantes, les énergies renouvelables ne sont pas fiables etc.). Après un peu d’agitation dans la presse conservatrice, l’association patronale Colorado Oil and Gas Association s’est moqué de la marque de vêtements lors d’une cérémonie de « remise de prix » organisée début mars, l’honorant en tant que « client extraordinaire » du fait de son recours massif aux produits issus de l’industrie pétrolière, tout en mettant en exergue l’omniprésence de ceux-ci dans les activités de plein-air auxquelles elle est étroitement associée. Un ancien conseiller de Donald Trump, Tom Pyle, aujourd’hui directeur de l’American Energy Alliance, a déclaré lors de la cérémonie que les vaccins contre le coronavirus auraient été « impossibles sans le pétrole et le gaz ».
Le déni pur et simple ayant cessé d’être une stratégie viable, les pétroliers mettent désormais l’accent sur les bienfaits que leurs produits, plastiques compris, sont censés procurer à l’humanité, prêts à en découdre avec tous ceux qui oseraient mettre en doute cette narration. The North Face en fait les frais. L’entreprise mérite les applaudissements pour avoir osé affronter une industrie à la force de frappe redoutable. Mais ses produits n’existent en effet que grâce aux dérivés du pétrole, et sa stratégie de développement durable est loin d’être exemplaire – contrairement par exemple à celle de son concurrent direct Patagonia qui est, il est vrai, l’exception qui confirme la règle. Préparons-nous à assister plus souvent à ce genre de guéguerre et, en tant que consommateurs, à favoriser les marques proposant une démarche environnementale et sociale lisible et cohérente.