La place Hamilius et ses changements semblent inspirer les cinéastes documentaristes. Ainsi, dix ans après Hamilius d’Alain Tshinza, qui se concentrait sur la scène hip-hop grand-ducale qui a longtemps tenu ses quartiers dans l’ancien sous-terrain de la gare routière du centre-ville, voilà que Serge Wolfsperger s’intéresse à ce centre névralgique de la capitale avec Sur le fil du temps.
Comédien de théâtre, de cinéma et de télévision, Serge Wolfsperger (qui a longtemps écourté son nom en Wolf) a également réalisé un court-métrage de fiction (Le Miroir des apparences) et plusieurs documentaires. Parmi eux : Waat Iwwreg bleif (ce qui reste) pour la série de RTL RoutWaissGro. Il s’intéressait, alors, au chef du chantier du Royal Hamilius, Achille Villa, bâtisseur de père en fils. Un 26 minutes diffusé fin 2017 où l’on découvrait l’état d’avancement des travaux, mais également la personne d’Arnaldo Ferragni, un des irréductibles du 49 boulevard Royal qui, dans son appartement, résistait encore et toujours aux pelleteuses.
« À l’issue du documentaire pour RoutWaissGro la nécessité d’un autre film qui en serait le prolongement s’est imposée, explique Serge Wolfsperger, mais d’un point de vue antagoniste à celui du chantier : le 49, boulevard Royal et son résident historique Arnaldo Ferragni », poursuit le réalisateur. Ce sera Sur le fil du temps.
C’est vrai qu’il est attachant Arnaldo Ferragni avec ses 90 ans, sa classe surannée et son amour pour le quartier. Ce Lombard habite au « 49 » depuis 1964. Il y a vu grandir ses enfants, disparaître son épouse et puis a vécu toutes les transformations de ce lieu hyper-central de la capitale. « Il n’y a plus, sur tout le Boulevard Royal, une seule pierre qui était là quand je suis arrivé en 1964 » aime-t-il répéter à qui veut l’entendre. Nostalgique, il regrette les petites villas, les jardins, les grands arbres, les commerces de proximité, l’école et sa cour où les enfants jouaient. « Le quartier avait une âme », assure-t-il. Sous-entendu : il n’en a plus vraiment. L’homme n’a rien contre le renouveau, mais il n’apprécie guère de voir le monde qu’il a connu disparaître. Déjà dépassé par l’évolution des lieux, on imagine le ressenti de cet ancien fonctionnaire européen lors de la destruction de « son » pâté de maison.
C’est là, pertinemment que le réalisateur fait débuter son Sur le fil du temps. Perché sur un bâtiment voisin, une plongée nous montre la destruction, en ultra-accéléré des différents bâtiments. D’abord côté rue Aldringen, puis Grand-Rue, ensuite boulevard Royal, enfin place Hamilius. En une minute trente les grues ont fait leur ouvrage et un trou béant apparaît désormais à la place des anciens bureaux, appartements, magasins et autres restaurants. Seul le « 49 » demeure, tel un monument sur un piédestal. Il se dresse, haut, droit et fier de cette énorme cicatrice qu’a représenté pour la ville l’énorme chantier Royal-Hamilius.
« Le trou est autour de nous, mais nous, nous sommes toujours là », lance Arnaldo Ferragni, non sans une certaine fierté à une vieille amie venue lui rendre visite. Dans son appartement les volets restent fermés, mais rien ne semble atténuer les bruits constants des travaux tout autour. « Aujourd’hui il y a encore du bruit, acquiesce-t-il, mais ce n’est plus le bruit d’il y a quelques mois ». On imagine à peine.
Dans son appartement, en discutant avec des amis, sa famille, mais aussi en découvrant le chantier avec Achille Villa, en rendez-vous avec la bourgmestre Lydie Polfer ou encore en entretien avec un architecte, l’homme du 49 s’interroge, s’intéresse. De, « est-ce que le 49 va pouvoir rester debout ? » à « le 49 va rester la conjonction entre le passé et l’avenir dans la nouvelle version du quartier », les questions évoluent avec le temps et les informations dont il dispose.
Arnaldo Ferragni sera ainsi le témoin de cette « troisième urbanisation du boulevard Royal », pour reprendre les termes de Lydie Polfer. Après avoir vu les bâtiments autour du sien disparaître, il verra les nouveaux pousser de cet ancien trou de plus de 35 mètres de profondeur. À plusieurs reprises et à différents moments d’avancement, il arpentera le chantier, s’extasiera sur l’ouvrage, tout en regrettant la mémoire qui se perd. Et le spectateur avec lui.
Malheureusement, assez rapidement, le film, tourne en rond. Si son aspect brut et terre à terre, sans commentaire ni interview – selon les didascalie de la série RoutWaissGro – est un style tout à fait acceptable, Sur le fil du temps, à l’instar de son personnage principal, se répète encore et encore, se perd dans des images sans réel intérêt, dans des conversations de comptoir et finit, du coup, par ennuyer. Sa durée d’1h50, un montage souvent brusque et un mixage sonore pas toujours au point n’aident pas non plus le spectateur à maintenir toute son attention.
Reste l’intérêt historique de ce témoignage sur la transformation du centre-ville. Le sujet est encore bien frais dans la mémoire collective, mais gageons que dans quelques années, on portera un regard différent sur le sujet et que les défauts du film seront alors moins perceptibles. En tout cas, ce qui est certain est que, grâce à lui, la mémoire d’Arnaldo Ferragni et de « son » Hamilius, ne sera pas perdue de sitôt.