En 2009, avec The Secret of Kells, Tomm Moore faisait découvrir à son public l’Irlande mythique du IXe siècle. Il y était question d’abbayes, de moines, de livre, d’enluminures, de forêts enchantées, d’enfants loup et de Vikings. En 2014, avec Song of the Sea, il présente une Irlande, certes du XXe siècle, mais dans une version faite de créatures chimériques – mi-femme mi-phoque –, de sorcières, de voyages fabuleux et de rêveries aquatiques. Et voilà qu’en ce début d’année 2021, le réalisateur irlandais est de retour dans les salles grand-ducales avec Wolfwalkers une nouvelle et magnifique aventure fantastique qui entraîne, pendant 1h40, le spectateur dans de la mythologie celtique irlandaise.
Cette fois, direction le XVIIe siècle. Les Anglais ont pris possession de l’île et semblent bien décidés à la « civiliser » à leur manière. Autrement dit en imposant leurs règles, leurs chefs, en soumettant la population locale et en rasant la dense forêt du pays pour y faire passer des routes et y installer des champs. Au-delà de l’aspect pratique de la chose, la destruction de la forêt, avec sa végétation infranchissable et ses loups omniprésents, est une manière, pour l’envahisseur de casser le dernier symbole du caractère prétendument indomptable du pays. L’opposition entre un peuple colonisateur et un peuple colonisé n’est présente que de manière secondaire dans le film, et sans que ce soit trop spécifié, mais elle figure est bien en arrière-fond pour que les plus grands des spectateurs la comprennent aisément.
La jeune Robyn, le personnage principal du récit, justement, est Anglaise. Et cela lui vaut l’inimitié de tous les autres enfants de Kilkenny où elle habite désormais avec son veuf de père. La petite fille, passe le plus clair de son temps dans leur petite maison, à deux pas du pilori de la cité. C’est que Bill Goodfellowe, le paternel, n’est pas dans la région depuis bien longtemps. Il est chasseur et il s’est vu confier par Lord Protector, le despote local, la difficile mission de débarrasser enfin la contrée de la meute de loup qui terrorise tous ceux qui approchent de la forêt voisine.
Digne fille de son père, la petite blonde est un as avec son arbalète. Elle insiste pour partir avec son père en forêt et l’aider à massacrer les loups. L’opposition paternelle et l’interdiction faite à tous les enfants de quitter les murs de la cité n’arrêteront pas la petite fille espiègle. La voici donc seule, dans la forêt, au milieu des bêtes à l’allure féroce, avec ses flèches. Là, elle fera la connaissance d’une étrange jeune fille. Elle semble vivre dans les bois, entourée par ces loups que la région entière craint tant. Elle s’appelle Mebh, et sa vie n’est en rien ordinaire. Humaine quand elle est éveillée, elle se transforme en louve à chaque fois qu’elle est endormie. Loup-garou 365 jours par an !
À ses côtés, Robyn va découvrir un monde sylvestre fait de lieux étonnants et secrets, de magie et de respect entre la nature et les êtres vivants qui l’habitent. Une philosophie de vie à l’opposé de ce que les humains sont en train de faire, de l’autre côté des hauts murs de Kilkenny. Et elle comprendra bien vite que la menace ne vient finalement pas des loups, mais bien des hommes.
Avec Robyn et Mebh, le spectateur s’enfonce alors dans un monde de plus en plus sauvage. Grands comme petits se laisseront embarquer bien volontiers dans cette fantaisie bien rythmée, à la magie omniprésente et à la beauté saisissante, qui parvient à être surprenante pour les adultes sans jamais devenir inquiétante pour les plus jeunes. Le style, aussi bien narratif que graphique de Tomm Moore reste proche de celui de ses réalisations précédentes : d’une grande richesse, fantasmagorique, métaphorique, poétique, humaniste… aux inspirations folkloriques et celtiques ; et le dessin reste coloré et stylisé, avec, plus encore que par le passé, un aspect brut, presque d’esquisse qui lui donne une touche toute particulière.
Coréalisé avec Ross Stewart – directeur artistique sur The Secret of Kells et Song of the Sea –, Wolfwalkers est, comme Song of the Sea avant lui, une coproduction de Mélusine Productions Luxembourg. Et si les nominations pour les prochains Oscars ne sont pas encore connues, certains spécialistes des coulisses hollywoodiennes, le voient déjà repartir de la 93e cérémonie des Academy Awards – qui devrait se tenir le 25 avril prochain – avec la statuette du meilleur film d’animation. C’est tout le mal qu’on lui souhaite.