Le secteur de la production audiovisuelle au Luxembourg s’est bien développé et structuré. Il y a des sélections, des représentations, des prix, des tapis rouges, des réceptions. Mais les derniers pas pour une véritable professionnalisation et une pérennisation restent encore à faire. Manque encore la pleine liberté d’embrasser ces métiers, à tous les niveaux, pour tout le monde et pas seulement pour les nantis et les bien connectés : L’incitation à ces métiers par la transmission, la création en elle-même, la recherche. Cela touche d’ailleurs tous les secteurs artistiques et créatifs ici.
Vendredi dernier les assises de la production audiovisuelle se tenaient au Centre national de l’audiovisuel. Tous les représentants du monde du cinéma local, de la technicienne à l’acteur, en passant par les nombreux producteurs, réalisatrices, scénariste, le directeur du Film Fund Luxembourg, Guy Daleiden ainsi que les représentants politiques, c’est à dire le ministre de la Culture, Eric Thill et leurs équipes, étaient présents.
Deux tables rondes bien préparées, l’une sur la production cinématographique au Luxembourg et l’autre sur l’avenir des métiers du cinéma se sont déroulées avec plus ou moins de joie et de bonne humeur. Une légèreté de façade typique de ces événements, je crois. Parce qu’on s’interroge sur l’avenir. Et que c’est compliqué. En 2030, où en sera le film au Luxembourg ?
Pour la plupart des participants, ces assises furent trop courtes. Parce qu’il y a tant à discuter, « maintenant plus que jamais », confie Anne Schroeder à la sortie. Elle intervenait principalement comme coordinatrice du BTS cinéma, mais aussi comme réalisatrice et productrice. Ses remarques furent pertinentes sur le développement sur trois ans, voire plus, du BTS, en y incluant peut-être les métiers de scénariste et de réalisateurs. Cette vision a également été reprise par l’acteur Luc Schiltz. Il a aussi avoué que parler d’argent lui était insupportable, surtout lorsqu’il s’agit de négocier encore et toujours des montants qui augmentent dans d’autres métiers ou qui dépendent de budgets importants alors qu’ils stagnent pour les artistes indépendants, notamment au vu des tranches indiciaires accumulées par ailleurs.
Pia Dumont, monteuse, a établi ses propres statistiques sur la situation dans le domaine de la post-production et plus particulièrement dans le montage. Elle a livré un constat inquiétant. D’une part, chacun semble veiller à son pré carré en défendant sa propre position coûte que coûte, surtout quand elle permet une existence plus que digne. D’autre part, il s’avère qu’on produit nettement moins de films ces dernières années au Luxembourg, on fait donc moins appel aux équipes techniques locales. Est-ce dû aux décalages survenus après la pandémie ou à la préférence de se tourner vers l’étranger pour économiser de l’argent sur les aides financières accordées par le Film Fund? Cette technicienne expérimentée dénonce le fait qu’on précarise ainsi des gens formés et aguerris qui se trouvent obligés d’arrêter leur métier ou de s’installer ailleurs. Elle précise qu’elle ne parle pas seulement pour elle, mais bien pour tous les techniciens et techniciennes représentés par l’Alta (Association luxembourgeoise des techniciens de l’audiovisuel).
La deuxième table ronde a donc dépeint un triste état des lieux, où chacun avance seul et où la précarité est inéluctable quand on n’est pas issu d’une famille aisée ou soutenu par un partenaire ou conjoint. Comme le souligne Luc Schiltz, « Le théâtre et le cinéma sont des arts solitaires qui se pratiquent en groupe. » Pourtant ici, on se cloisonne, l’individualisme prévaut et les inégalités sont flagrantes. La jeune réalisatrice Eileen Byrne indique que le secteur est un des derniers où les écarts de traitement entre les femmes et hommes restent problématiques. Elle s’engage au sein de la LARS (association des réalisateurs et scénaristes) pour établir un certain équilibre à ce niveau-là aussi.
Le ministre de la Culture Eric Thill (DP) n’a eu de cesse de défendre la production au Luxembourg, son expansion logique, financière (il négocie en ce moment le budget), de meilleures conditions de travail, moins précaires et une égalité entre hommes et femmes. Le focus est désormais placé pour les œuvres numériques ou des réalités mixtes. Il a exprimé un engagement qui doit aller au-delà de la période législative, sans pouvoir donner de garanties, forcément. Car nous sommes à un tournant de l’actualité géopolitique internationale qui nous touche au moins d’un point de vue économique. Qu’on le veuille ou non, on investit moins dans la culture, la créativité et l’éducation et plus dans le réarmement militaire et la sécurité. D’un point de vue humaniste et en vue de la construction de l’avenir des jeunes générations, ce n’est pourtant pas un bon calcul.
On a beaucoup parlé d’augmentation des budgets. Comme lançait le producteur Nicolas Steil, « il ne faut pas avoir froid aux yeux pour faire avancer son business ». On a aussi échangé sur les barèmes de salaires, les cachets des techniciens et des acteurs mais aussi ceux des scénaristes et réalisateurs, sur statut de l’intermittence qu’il faut améliorer et simplifier. Ainsi, refaire toujours les mêmes dossiers quand on exerce le métier depuis un certain temps et qu’on a fait ses preuves, ne se justifie pas vraiment. Ce sont des sujets cruciaux pour garantir une subsistance à tous ceux qui y travaillent ainsi qu’aux contenus, aux films eux-mêmes.
Mais la créativité, le fond des sujets, l’identité des films du Luxembourg ne sont pas vraiment discutés, supplantés par des événements clinquants et l’évaluation de productivité ou de rentabilité. Quand aurons nous l’occasion de nous enthousiasmer réellement ensemble pour le cinéma et la production nationale ? Je ne parle pas de festivals et de prix, même s’ils sont importants et que je me réjouis sincèrement pour les équipes locales qui ont contribué à ces succès. Je me demande si nous pourront avancer vraiment, de manière réfléchie, sur ce que nous faisons en matière culturelle, en détectant par exemple des particularités, peut-être à contre-courant, pas forcément dans le mainstream et les soutenant. En se soutenant. La transmission des savoirs ne pourrait-elle pas résoudre les interrogations sur les contenus, les identités, mais aussi sur les conditions.
Depuis des années, j’ai rencontré de nombreuses personnes extrêmement talentueuses, ici aussi au Luxembourg. Souvent formées sur le terrain par d’autres personnes extrêmement talentueuses. Certaines de ces personnes sont parties ou sont sur le point de s’installer ailleurs. Nous devons nous interroger sur notre incroyable faculté à tout bureaucratiser, à infantiliser celles et ceux qui font un métier considéré comme pas tout à fait sérieux, mais aussi à faire des choix stratégiques surannés ou en pensant réinventer la roue. Il semble qu’on est en train de perdre des talents et du temps : on n’avance plus vraiment, on stagne, certains plus confortablement que d’autres.
À la fin de cette matinée d’assises, je repense au sociologue Max Weber. Il faudrait un peu moins de calcul et un peu plus de passion, pas naïve, mais constructive et plus collective. Ce contexte précis de la production audiovisuelle se réalise, on l’admet en tous cas, dans une certaine éthique. Peut-elle être subordonnée à l’éthique de responsabilité – c’est à dire à la politique, à ce qui est faisable –, ou à l’éthique de conviction. Là, on se ferait pousser des ailes et on jouerait collectif et par le biais de celles et ceux qui ont appris et qui pratiquent le cinéma et l’art en général. On raconterait toutes les histoires à raconter ici et on poserait toutes les questions sur un monde surexposé mais complexe et des hypothèses sur nous aussi. Car c’est ça le cinéma aussi, c’est ça l’art.