Les dernières instructions du Dr Allegrezza

d'Lëtzebuerger Land vom 27.09.2024

Après 21 ans passés à la tête du Statec, Serge Allegrezza va prendre sa retraite à la fin du mois prochain. Il profite de sa dernière préface au Rapport Travail et Cohésion Sociale pour placer quelques messages et donner de dernières instructions. À la hantise du « grand remplacement » attisée par l’extrême droite, il oppose le concept de « grand renouvellement » (ou, au choix, de « grand brassage » et de « grand mélange »), rappelant que les trois quarts des Luxembourgeois ont un parent né à l’étranger. Il met surtout en garde contre « les questions identitaires [qui] guettent ». La digue du « modèle social luxembourgeois » aurait tenu, jusqu’ici du moins : « Si l’expansion de la population n’a pas provoqué de heurts jusqu’à ce jour, c’est peut-être grâce au succès de son modèle de croissance économique, de l’ascension sociale, de la redistribution des richesses ».

Serge Allegrezza a toujours pris le contre-pied des thèses nationalistes que défendait jadis Georges Als, l’ancien directeur du Statec (1963-1990). À partir de la fin des années 70, celui-ci avait popularisé la thèse du « suicide démographique ». Dans un article paru en 1982 dans le mensuel Forum, il estimait même qu’« une relative homogénéité ethnique et une sage politique nous ont jusqu’ici préservés de tensions sociales graves ». Dans un langage fortement teinté d’éléments völkisch, Als mettait en garde contre « un relâchement de l’instinct vital ».

Serge Allegrezza a, lui, mis en avant les questions sociales. En 2005, le Statec lançait la première édition du Rapport Travail et Cohésion Sociale, revendiquant la suprématie sur ce terrain par rapport au « concurrent » Ceps/Instead. La « cohésion sociale » reste un concept très flou, et Allegrezza constate avec regret que le Statec l’ait souvent abordé par la négative, c’est-à-dire par les inégalités, la pauvreté ou le chômage. « Or, ce pis-aller pragmatique n’est pas à la hauteur du défi », juge Allegrezza a posteriori. À son successeur de faire mieux. En conclusion, Serge Allegrezza revient au concept de « classes » qui aurait « un peu vite évacué ». Dernière instruction au successeur, Tom Haas : « Les prochains rapports devraient explorer le pouvoir explicatif du concept de classe ». Le spécialiste en économétrie et modélisation, Tom Haas, devra-t-il se plonger dans les classiques de Marx et de Bourdieu ?

Bernard Thomas
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