Dans un courrier envoyé le 6 septembre aux 160 bénévoles de Médecins du monde Luxembourg (MdM), son emblématique président Bernard Thill, 73 ans, se montre très inquiet pour l’asbl portant une assistance médicale aux personnes marginalisées. Le médecin y explique que l’association créée en 2013 « s’est retrouvée en danger » cet été. Thill parle d’événements « lourds » et « émotionnellement difficiles » qui ont laissé des traces. La confiance parmi les membres et les seize salariés serait entamée et « certains ressentiments » persisteraient au sein de l’organisation. « Ben » Thill procède à une sorte de mea culpa, ciblant la gestion du conseil d’administration qu’il préside.
Les problèmes évoqués tiennent à une brouille persistante entre la directrice générale, Sylvie Martin, et le directeur des programmes, David Pereira, qui a conduit à leur départ de l’association en juillet, explique le président au Land. (David Pereira a pris début septembre la tête d’Amnesty International.) Une double perte qui aurait pu ou dû être évitée, au-moins dans une certaine mesure, pour deux administrateurs qui ont à leur tour claqué la porte cet été. Or, le conseil d’administration avait déjà connu une floppée de départs ces derniers mois. De quoi troubler la bonne gestion de l’ONG en ces temps tumultueux, « dans un paysage social secoué par le scandale Caritas qui a plus que jamais besoin de MdM », relate le président.
Face au Land ce jeudi, Bernard Thill assure que l’association avance de nouveau sur de bons rails, notamment grâce au soutien apporté par Michel Genet, ancien responsable de Médecins du monde Belgique promu pompier de service entre Esch et Bonnevoie où l’association est active. Les recrutements d’un directeur général et d’un directeur des programmes vont être lancés dans les dix prochains jours.
« On a de plus en plus de travail », explique Thill. À la présentation du rapport d’activité en juillet, où les dissensions entre les « deux piliers de l’association » avaient été masquées, il avait été question d’une progression « alarmante » des consultations sociales, passant de 633 en 2020 et 2 515 en 2023, soit presque un quadruplement en quatre ans. « Sans emploi officiellement déclaré, sans résidence reconnue et donc sans accès à la sécurité sociale, les demandeurs vivent dans des logements temporaires souvent insalubres et sous le seuil de pauvreté, sans accès aux aides sociales ou aux programmes de prévention ce qui finit tôt ou tard par avoir un impact sur leur état de santé », avait informé l’organisation.
Ce jeudi, Bernard Thill souligne le travail supplémentaire lié à la prestation de soins de santé pour les migrants, « de plus en plus nombreux, comme dans les pays voisins » et privés d’accès à la sécurité sociale. Celui qui a été élu Luxembourgeois de l’année en 2022 par les téléspectateurs de RTL Télé revient sur la difficile mise en œuvre de la Couverture universelle de soins de santé (CUSS). Le système d’accès généralisé à l’assurance maladie lancé fin 2021 dans une phase pilote reste très imparfait, selon Ben Thill. De nombreuses barrières demeurent, comme la multitude de documents demandés. Les justifications de non-ressource ou de non-revenu dans les pays de provenance ou les preuves de résidence permanente au Grand-Duché seraient difficiles à produire pour les populations marginalisées. « Il faut même présenter un projet de vie alors que plus de la moitié des gens qui viennent nous voir ne savent pas où dormir le soir », peste le président de MdM. Les candidats à la CUSS doivent pointer une fois par mois chez une assistante sociale de l’une des cinq ONG impliquées dans la mise en œuvre du projet (avec la Croix Rouge, le Comité national de défense sociale Abrigado, la Jugend an Drogenhellëf Fondation et la Stëmm vun der Strooss) pour justifier leur présence sur le territoire, « obtenir un petit document pour se présenter chez le médecin ou à la pharmacie ». « Cela nous demande beaucoup de travail », répète Ben Thill. Si bien que les affiliations ont été stoppées en mars 2023, limitant leur nombre à 27 (et à 126 le nombre de consultations dans le cadre de la CUSS). La réelle universalisation de l’accès à la santé redeviendra pleinement la priorité du plaidoyer de MdM après une stabilisation de sa gouvernance.