Quand les aéroports se battent pour accueillir les compagnies low cost... l’aviation évolue au gré des considérations écologiques et, bien sûr, économiques

Ciel changeant

d'Lëtzebuerger Land vom 20.01.2023

Le transport aérien mondial a eu du mal à se remettre de la crise du Covid-19. En 2022 il aura encore été de dix pour cent inférieur à son pic de 2019, qui était de 4,56 milliards de passagers. Mais en 2020, il avait chuté de soixante pour cent et, en 2021, on était toujours à deux fois moins de voyageurs qu’avant la crise sanitaire. Les compagnies aériennes ont été durement affectées, affichant des pertes colossales (près de 52 milliards de dollars en 2021). Selon l’Organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne Eurocontrol, le trafic aérien européen s’est situé en 2022 à 83 pour cent de son niveau de 2019, mais ce pourcentage n’a été que de 75 pour cent dans les compagnies classiques (long-courriers), contre 85 pour cent pour les compagnies low-cost. Du coup ces dernières, en proportion du nombre de vols dans l’espace aérien européen, ont rattrapé les grandes compagnies traditionnelles avec respectivement 32,3 pour cent et 32,4 pour cent. Le reste des vols est réalisé par les compagnies régionales (13,3 pour cent), les charters, l’aviation d’affaires et le fret.

Aucune grande compagnie n’a encore retrouvé son niveau d’activité d’avant crise. Il s’en faut parfois de beaucoup. Si Turkish Airlines est à 93 pour cent de son niveau de 2019, KLM est à 82 pour cent, Air France à 80 pour cent, Lufthansa et British Airways toutes deux à 71 pour cent. Toutes ces compagnies ont été pénalisées par la contraction des vols internationaux lointains, pour cause de fermetures de frontières et autres restrictions sanitaires (quarantaines, vaccinations...). La reprise d’une activité normale a été plus tardive que prévu. En revanche, Ryanair, deuxième compagnie mondiale en termes de vols, a renoué avec la croissance en 2022, avec neuf pour cent de vols de plus qu’en 2019 (soit quelque 77 000 vols supplémentaires sur l’année) et 13,5 pour cent de passagers supplémentaires, pour atteindre 168 millions de voyageurs.

EasyJet a marqué un peu le pas, pénalisée par la réouverture tardive du Royaume-Uni : en 2022 elle n’avait récupéré que 80 pour cent de son niveau d’avant crise, soit 123 000 vols de moins qu’en 2019. En revanche la hongroise Wizz Air, qui fera son apparition au Luxembourg avec un vol vers Rome à partir d’août 2023, a connu une progression de quatorze pour cent de ses vols, dépassant son niveau de 2019 et talonnant KLM (672 vols par jour en moyenne, contre 703). Elle entre dans le Top 10 des compagnies européennes à la septième place, tout comme l’espagnole Vueling (neuvième). Parmi les autres low-cost dynamiques figurent une autre compagnie espagnole (Volotea, déjà connue au Luxembourg, mais plutôt pour des vols vers la France), la britannique Jet2.com et la turque SunExpress.

Le low-cost n’est pas une formule magique. Depuis 2019, Norwegian, Air Europa et Eurowings ont connu d’importantes difficultés. De plus, avec la réouverture progressive de tous les espaces aériens internationaux, les compagnies internationales regagneront du terrain en 2023. Les chiffres de 2022 démentent la sombre prévision du cabinet Roland Berger, publiée en décembre 2021. Réalisée auprès de 200 experts du transport aérien et de 7 000 voyageurs, son étude* envisageait un nombre de passagers inférieur de vingt pour cent au pic de 2019. En cause, une forme désamour vis-à-vis des voyages en avion, tenant d’abord à des préoccupations environnementales datant d’avant la crise et concrétisées par le mouvement dit de flygskam, « la honte de prendre l’avion », né en Scandinavie. Il ne semble pas avoir pesé lourd face aux souhaits des habitants de la planète de reprendre leurs habitudes d’avant la crise, surtout pour les déplacements familiaux et touristiques, après avoir temporairement sacrifié à la mode du staycationing, le « tourisme domestique ».

En revanche, comme le prévoyait l’étude, la clientèle d’affaires devrait nettement diminuer. L’essor du télétravail et le développement d’outils de réunions à distance ont réduit et modifié les besoins en déplacements professionnels. Un repli problématique pour les grandes compagnies qui ont axé leur redressement sur la clientèle business très rémunératrice (40 pour cent des clients chez Air France) mais aussi pour les low-cost qui avaient investi ce marché et qui ne voient plus guère d’hommes d’affaires dans leurs avions.

De plus dans certains pays la réglementation interdit désormais, au nom de l’écologie, certains vols intérieurs, en considérant que le trafic domestique représente quarante pour cent des émissions de CO2 du transport aérien. Ainsi, en France depuis décembre 2022, « l’interdiction s’applique aux services réguliers de transport aérien public de passagers pour lesquels une liaison ferroviaire assure, dans chaque sens, un trajet de moins de 2 heures 30 ». L’étude de Roland Berger indique que, conformément à l’air du temps, « les passagers rechercheront des compagnies aériennes respectueuses de l’environnement », ce qui explique que l’on trouve de plus en plus sur leurs sites Internet des simulateurs d’émissions de CO2. Mais cela fait longtemps que les professionnels ont pris conscience de la nécessité de réduire leur empreinte carbone.

En 2009 les compagnies membres de l’IATA (association mondiale du transport aérien) s’étaient engagées à une division par deux des émissions de CO2 en 2050, par rapport à celles de 2005. En 2021, 290 compagnies ont fixé un objectif encore plus ambitieux, celui d’atteindre la neutralité carbone du secteur en 2050. D’ores et déjà, selon une étude publiée en 2020 dans la revue Atmospheric Environment, les vols en avion à eux seuls ne représentent que 2,4 pour cent des émissions totales de CO2 (2,9 pour cent en ajoutant les rejets liés à la production et à la distribution du kérosène). Le meilleur moyen de parvenir à réduire l’empreinte carbone consiste à s’équiper progressivement de nouveaux appareils moins gourmands et plus propres.

Selon le cabinet américain Cirium, dans son étude annuelle Fleet Forecast, la flotte mondiale passagers passera de 25 000 à 47 000 avions d’ici fin 2040. « Les livraisons d’avions prévues (45 000 appareils) répondront à la hausse croissante de trafic et permettront également de remplacer les avions anciens moins économes en carburant ». La consommation par passager d’un Airbus A321 Neo sur un trajet long-courrier est d’environ deux litres de carburant aux cent kilomètres, soit nettement moins que celle d’un automobiliste seul dans un véhicule thermique parcourant la même distance.

Les jets monocouloirs, modèles préférés des compagnies low-cost, représenteront 70 pour cent du total des livraisons d’avions et 55 pour cent de leur valeur au cours des vingt prochaines années. Le cœur de ce marché de 1 600 milliards de dollars est l’avion de 150 sièges, dont les exemples types sont l’Airbus A320 neo et le Boeing 737 Max 8, qui pèseront pour la moitié des livraisons. Les avions de plus de 180 sièges, comme l’A321 neo et le B737 Max 10, verront croître leur part annuelle avec quarante pour cent des livraisons au cours des deux décennies.

Airbus et Boeing devraient développer de nouveaux programmes d’avions monocouloirs au cours des années 2030. Du côté des bi-couloirs, surtout utilisés par les grandes compagnies, le marché estimé à 1 100 milliards de dollars sera composé, pour les deux tiers des livraisons en valeur, par des appareils de taille moyenne (250 à 300 sièges), type Boeing 787-9 ou Airbus 350-800.

Les constructeurs aéronautiques travaillent aussi sur des alternatives au kérosène, qui pollue beaucoup et devient de plus en plus cher à cause de la crise énergétique. La propulsion à l’hydrogène et l’utilisation de l’électricité semblent promises à un bel avenir. Les nouvelles motorisations et l’utilisation croissance de matériaux composites auront aussi un effet favorable sur le bruit, une autre préoccupation environnementale majeure.

Un des éléments-clés de l’offre des compagnies aériennes est le nombre de destinations qu’elles proposent à leurs clients. Beaucoup sont saisonnières car liées aux déplacements touristiques, avec un nombre toujours plus grand de pays et de villes desservis, et une multiplication des aéroports (il y en aurait 1 600 rien qu’en Europe). Les vols réguliers sont en revanche concentrés. Selon Eurocontrol, 90 pour cent d’entre eux partent de 250 aéroports en Europe. Et dix pour cent d’entre eux concentrent à eux seuls 44 pour cent des vols. Certains grands aéroports comme Paris, Londres, Amsterdam ou Francfort sont desservis par plusieurs compagnies.

En revanche les petits et moyens aéroports se battent pour accueillir les compagnies aériennes, en ciblant plus particulièrement les low-cost et les destinations permanentes. La rentabilisation de leurs infrastructures, mais aussi leur image, en dépendent. L’offre de vols directs présente un fort pouvoir différenciateur.

Le cas de Luxembourg-Findel est particulier car il s’agit de l’aéroport d’une capitale et il sert de hub à une compagnie nationale. Du coup, malgré sa petite taille (99e rang européen avec 4,5 millions de passagers) il propose au total, destinations saisonnières comprises, environ 125 destinations, dont 90 pour Luxair, contre par exemple 110 pour Lyon-St Exupéry, presque trois fois plus grand (cinquantième rang avec 11,8 millions).

Le fret comme relais de croissance

En 2020 et 2021, les grandes compagnies aériennes ont pu quelque peu compenser la baisse du trafic passagers par le fort rebond du fret après le pic de la crise sanitaire. Chez Lufthansa, c’est grâce au bénéfice opérationnel du fret au premier semestre 2022 (1 milliard d’euros) que la compagnie a pu enfin afficher un résultat global positif, le transport de passagers restant déficitaire. En 2021, le chiffre d’affaires du fret aérien a atteint un niveau record à 175 milliards de dollars tandis que les volumes étaient de huit pour cent supérieurs au niveau de 2019, la dernière année avant la crise. En 2022, on s’attendait à une croissance de cinq pour cent des volumes transportés.

Mais la crise est passée par là. Mesurée en tonne de fret-kilomètre (cargo tonne-kilometers ou CTK), l’activité mondiale de transport aérien de marchandises s’est contractée de 10,6 pour cent sur un an. Elle a même baissé de 3,6 pour cent par rapport à 2019. Selon le directeur général de l’IATA, Willie Walsh, au ralentissement économique mondial, qui affecte les échanges commerciaux, il faut ajouter un changement de comportements des consommateurs. « Avec la levée des restrictions de voyage après la pandémie, les gens sont susceptibles de dépenser plus en voyages de vacances et moins en commerce électronique » explique-t-il, tout en reconnaissant que malgré tout le fret aérien « se porte bien », l’année 2021 ayant été exceptionnelle.

Le Luxembourg est bien positionné sur le fret grâce à la compagnie spécialisée Cargolux, dont le principal actionnaire est Luxair, avec un capital majoritairement aux mains d’acteurs locaux. En 2021, une année record, son chiffre d’affaires s’est élevé à 4,4 milliards de dollars et son bénéfice après impôt à 1,3 milliard.

Woke en cabine

Carole (prénom d’emprunt), hôtesse de l’air dans une compagnie low-cost d’origine anglo-saxonne, doit désormais s’adresser aux clients en « langage inclusif ». Fini les « mesdames, messieurs », place aux « chers passagers » sans indication de genre ! Dans le même esprit, le personnel est autorisé à porter un « badge pronoms – IEL » pour aider tout le monde à bien genrer la personne qui le porte et les uniformes deviennent interchangeables, de sorte que l’on pourrait parfaitement apercevoir un steward en jupe ou en robe. Autre signe des temps, dans un secteur où le « dress code » est réputé strict, Carole peut aujourd’hui afficher ses tatouages.

*  « All Change : How Covid-19 has disrupted the future of long-distance mobility ».

Georges Canto
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