L’architecte singulier

d'Lëtzebuerger Land vom 20.09.2024

Le titre de l’exposition, L’altérité des pièces et la promesse des formes est complexe. Est-ce que seuls des professionnels, initiés aux codes de l’architecture – plan, coupe, élévation et maquette – peuvent comprendre le travail de Jean-Christophe Quinton ?

La directrice du Luxembourg Center for Architecture (Luca) Maribel Casas, a été l’élève de Jean-Christophe Quinton. Elle a fait venir à Clausen, dans les locaux de l’ancienne brasserie, rénovés avec une grande rigueur et parcimonie, cette exposition multiforme qui s’était tenue auparavant à Paris où Quinton semble être devenu une coqueluche de la profession. Diplômé de l’École d’Architecture de Paris-Belleville en 2004 et la même année, lauréat des Nouveaux Albums de la Jeune Architecture, un prix très convoité, il diriger aujourd’hui l’École d’Architecture de Versailles. Cela fait vingt ans que cet homme de 52 ans, au discours prolixe comme l’est son art du dessin, travaille ses projets à travers trois interprétations de la pièce : « lieu intime de l’être à soi, lieu relationnel d’être aux autres et lieu d’être au monde qui organise la relation entre les êtres et le territoire ».

Au Luca, les caisses de transport sur lesquelles les maquettes sont disposées au centre de l’exposition renforcent l’effet esthétique très séduisant. On croirait voir apparaître une ville en miniature, qui va de la maison individuelle à des immeubles de logements et des tours (expérimentales). Tout autour, sur des plateaux posés sur des tréteaux, comme l’étaient dans le temps les tables à dessin, Jean-Christophe Quinton développe sa théorie de « la pièce considérée comme une unité architecturale ». Il montre que, en partant de cette seule unité « la pièce », il est possible de développer toutes les formes d’architecture. L’altérité des pièces et la promesse des formes présente ses sept dernières années de recherches, de concours gagnés ou perdus et de réalisations, surtout des maisons individuelles et des immeubles collectifs.

Tout autour des maquettes en carton, balsa (du bois ultra-léger) ou imitant la brique qu’il semble apprécier dans la réalité, on suit un parcours qui décline les différents types de pièces que Jean-Christophe Quinton a inventoriées, puis assemblées. On voit des photographies des « pièces d’eau et de feu », c’est-à-dire des salles de bain où la pièce, sans la lumière zénithale serait aveugle et plongée dans le noir. Dans la pièce de feu, la cheminée est certes l’élément central, mais dans les deux exemples présentés, grâce à de grandes baies vitrées en arrière-plan, le lieu s’ouvre sur le paysage.

Nous voilà déjà critique… C’est « le » truc de Quinton : les pièces assemblées forment toujours une suite spatiale qui dirige le regard soit vers l’extérieur, soit vers les pièces voisines organisées autour ou en enfilade. Sans portes sur les photos, ce qui permet effectivement une échappée. Qualitativement, on ne peut le nier, dans des appartements pas très grands, c’est un plus… Si les portes sont ouvertes, car on suppose qu’il y en a ! On ne voit en tout cas pas d’exemple réel photographié.

La capacité de Quinton à dessiner est sidérante. Des cahiers – on suppose qu’il en a des centaines – sont remplis au « Rotring », l’outil le plus utilisé par les architectes pour dessiner. Les carnets sont remplis d’assemblages de pièces comme il en a réalisé, ou de lieux qu’il a visité. On passe ainsi de l’architecture vernaculaire simplissime comme une grange à foin alpine, aux villes du moyen-âge sans plan d’urbanisme préétabli, à l’enchevêtrement de la ville japonaise extrêmement dense et chaotique. Puis, on arrive à la ville moderne, constituée d’éléments d’un « catalogue architectural ». C’est le Paris haussmannien, dont la répétition unitaire des façades fait toujours son charme.

On ne peut pas dire que Jean-Christophe Quinton soit un architecte d’avant-garde. Il cite des architectes certes exceptionnels : Frank Lloyd Wright, « aux parties du plan qui semblent se verser… les unes dans les autres » (Éric Lapierre dans la préface de la publication qui accompagne l’exposition) ou Louis Kahn, « premier architecte à se focaliser sur la question de la pièce comme principal mode de composition de ses plans » (toujours d’après Lapierre). Puisant dans l’histoire de l’architecture, Quinton est un adepte de Julien Guadet, architecte du 19e siècle conformiste, mais qui fut le premier à qualifier « les pièces comme éléments de composition ».

Aucune photo de ses réalisations n’est exposée dans l’exposition. Il faut chercher en ligne pour les trouver et on découvre des réalisations avec un je-ne-sais-quoi qui évoque les années 1930 qui les fond dans le paysage urbain. On peut admettre qu’une certaine « neutralité » fait du bien par rapport à des réalisations à l’expression unique, sans lien avec sa voisine. Nous avons surtout trouvé que Jean-Christophe Quinton est très fort dans une pièce que lui-même ne nomme pas, qui n’en est pas vraiment une, mais un espace : la place. C’est remarquable dans un petit lotissement domestique en Corse, le jardin en patio de la Philharmonie de Vilnius (son plus grand projet) et dans le cas d’un ponton d’un abri de plage (son plus petit projet.)

Revenons pour terminer à notre question initiale : la visite de L’altérité des pièces et la promesse des formes est-elle quasi réservée aux professionnels ? Notre avis est que non. Les urban sketchers, qui pratiquent le dessin à main levée avec passion, reconnaîtront en Jean-Christophe Quinton un des leurs et des meilleurs. Enfin, comme on ne sait jamais où naissent les vocations, la visite avec des enfants qui sont à bonne hauteur d’œil des maquettes, est certainement une expérience intéressante. Nous nous sommes habitués à ces séduisantes présentations 3D à vol d’oiseau, à ces vidéos, qui ne sont jamais le reflet de la réalité à hauteur de piéton.

Enfin, l’approche architecturale de Jean-Christophe Quinton est un exercice « artisanal » que l’ordinateur a presque jeté aux oubliettes de l’histoire de l’architecture et fourmille de détails quasi à déguster. Même Orson, un petit garçon, héros d’histoires pour enfants, vogue sur les océans ou navigue dans l’espace dans des architectures de Jean-Christophe Quinton. L’approche si personnelle et artisanale, est en tout cas une résistance héroïque à l’uniformisation banale et si ennuyeuse de nos villes.

Marianne Brausch
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