La série de concerts « Face-à-face » en est déjà à sa troisième saison. Et, comme pour les deux éditions précédentes, celle de la saison en cours est dédiée à un compositeur romantique : en l’occurrence, Felix Mendelssohn-Bartholdy, Wunderkind ex-aequo avec Mozart, comme lui, très tôt « aimé des dieux », créateur prodige, dont jamais le génie ne prend l’auditeur de haut.
Le 16 octobre dernier, le premier rendez-vous avec l’un des membres de la sainte trinité du premier romantisme germanique (concert organisé, comme il se doit, dans le cadre idoine de la belle et intime Salle de Musique de Chambre), fut l’occasion de se pencher sur sa production de lieder. Celui du 15 janvier a fait la fête au fleuron de la musique de chambre du « Mozart du 19e siècle » qu’est le coruscant et jubilatoire Octuor op. 20. Rappelons que chaque « Face-à-face » est conçu comme « un salon musical pendant lequel un médiateur explore de manière accessible le programme interprété » comme le présente la brochure du programme 2022-2023.
De cet opus sui generis, de ce chef-d’œuvre littéralement inouï, de ce coup de génie d’un adolescent de seize ans, Schumann, au comble de la fascination, dira : « Ni dans les temps anciens, ni de nos jours, on ne trouve une perfection plus grande chez un maître aussi jeune » ; tandis que Max Bruch qualifiera l’octuor de « la plus grande merveille » – merveille, à laquelle succédera, un an plus tard, la féérique Ouverture du Songe d’une nuit d’été.
Formellement inclassable, en raison de sa liberté de conception, l’œuvre regorge de fougue juvénile et d’élan vital. Son charme, ses sonorités inédites, sa maîtrise technique, sa richesse thématique sont et restent absolument uniques. On est là au cœur de la quintessence du romantisme. On sent autour de soi la forêt allemande, sombre et mystérieuse. Ici, tout n’est que grâce, fantaisie, magie, délectation innocente.
Portés par un bel enthousiasme, les membres de l’Académie de l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg jouent avec ferveur, à défaut d’une homogénéité et d’un équilibre entre les pupitres. En entendant cet Octuor, interprété par les jeunes musiciens de l’AOPL, comment ne pas repenser à cette boutade de Nelson Freire : « Et si, dans le domaine interprétatif, la véritable sagesse était de savoir ne pas être sage ? ». Dit autrement : « Et si ces artistes prometteurs, emmenés par le fiévreux primarius ukrainien Nazar Totovytskyi, épine dorsale de l’ensemble, à l’archet passablement instable, tous trop jeunes pour être « véritablement sages », au sens où l’entend le pianiste brésilien, traduisaient, au contraire, avec une conscience un brin trop timorée, l’ardeur adolescente de Mendelssohn ?
Pas assez conquérant, le premier mouvement manque d’assurance, et donne une fâcheuse impression de grisaille. Dans l’Andante, on regrette, de la part des huit protagonistes, l’absence de phrasés marqués au sceau d’une tendresse fragile, seule susceptible de restituer de manière adéquate l’atmosphère de ballade médiévale qui caractérise ce mouvement, où passe de surcroît un souffle de rêverie intime. Le féérique Scherzo, plus léger et plus cohérent, rétablit un peu la situation, tout comme le joyeux finale Presto, à la faveur d’un ultime Fugato enflammé à souhait.
Quant aux commentaires en anglais dont s’est fendu le sympathique Stephen Johnson avant l’exécution, tout éclairés et éclairants qu’ils soient, je ne vois guère en quoi ces dissections didactiques et autres vivisections verbeuses représentent une plus-value, quand bien même tout ceci part, je veux bien le croire, d’une bonne intention. Mais nul n’ignore que l’enfer est pavé… Ceci posé, et nonobstant toutes les réserves que nous venons d’exprimer, force est de constater qu’avec ces jeunes pousses, le passé, tout glorieux qu’il soit, prend un sacré coup de vieux.